Jimi, All Is By My Side, écrit et réalisé par John Ridley, est le premier biopic consacré à Jimi Hendrix. Il se concentre sur les débuts du Génial Gaucher, de son départ des Etats-Unis à son arrivée à Londres, où son irruption sur la scène musicale transforma instantanément l’actualité en Histoire. Jimi, All Is By My Side n’a pas eu les honneurs d’une sortie française en salle. Il est directement publié en dvd, ce qui est rarement bon signe. Pourtant…
Depuis que Jimi, All Is By My Side est, j’imagine, téléchargeable illégalement sur le Net et que les dvd “promo” sont arrivés dans les boîtes aux lettres des journalistes, on peut lire de ci de là des critiques et des réactions très sévères. Quarante-cinq ans après sa disparition, la fascination qu’opère le Génial Gaucher est peut-être encore plus forte que lors de son passage météorique sur terre, et ceci explique sans doute cela.
Aujourd’hui, tandis que les produits de synthèse et les erszats sont de plus en plus nombreux, et qu’on veut si souvent nous faire prendre des vessies pour des lanternes, les real music lovers sont en manque d’authenticité. L’absence d’un génie de l’envergure d’Hendrix leur est presque intolérable. Comme on les comprend.
Ainsi, quand un film promet de faire “revivre” le phénomène, l’attente est semble-t-il à la hauteur du mythe : démesurée. Et la déception forcément au rendez-vous. Jimi, All Is By My Side est certes un film mineur aux allures de luxueux téléfilm, un rien prétentieux et vaguement arty. Son manque de souffle fait songer à un autre biopic/téléfilm un peu plus réussi mais pas moins “maudit”, Le Roman d’Elvis de John Carpenter. Mais aussi à Notorious de George Tillman Jr., qui retraçait le non moins bref séjour sur terre du rappeur Notorious B.I.G. ; voire à Accords et Désaccords, le vrai/faux biopic de Django Reinhardt réalisé par Woody Allen. Le rythme de Jimi, All Is By My Side est plombé par de (trop) nombreuses scènes où l’on aurait aimé, tout simplement, que la musique prenne la parole à la place des acteurs. Mais il n’est cependant pas sans qualités.
Seulement voilà : les ayants-droit du natif de Seattle (pénible petite armada de control freaks menée par Janie Hendrix) ne l’ont pas approuvé de leur sceau. Résultat : on n’entend pas une seule note de musique jouée par le vrai Voodoo Child dans le film. Alors, pour illustrer les scènes musicales, la production a fait appel à un trio façon Experience composé de Waddy Watchel (guitare électrique), Leland Sklar (basse électrique) et Kenny Aronov (batterie). La Police du Rock les méprise car ce sont des requins de studio, des mercenaires du rock qui louent leurs services depuis des lustres à qui veut bien les payer –si l’on combine leurs c.v. respectifs, ils ont joué, entre autres, avec Bob Seger, Elton John, Linda Ronstadt, Billy Cobham, Keith Richards, Lee Ritenour, Styx, James Taylor, Phil Collins, Véronique Sanson, John Mellencamp, Hall & Oates, Brian Ferry, Stevie Nicks, Louis Bertignac, Toto, Bon Jovi… C’est louche. C’est mal. Mais quoi qu’en pensent les durs de la feuille, Watchel, Sklar et Aronov sont d’excellents musiciens, et les instrumentaux hendrixiens qu’ils distillent tout au long du film remplacent l’irremplaçable – la musique originale – sans, certes, la faire oublier, mais sans en rajouter non plus, donnant aux scènes musicales une atmosphère somme toute fantasmagorique. La BO de Jimi, All Is By My Side est un doux rêve, elle reflète idéalement un fantasme fatalement inassouvi : celui de pouvoir vraiment (re)jouer comme le Maître. Et, paradoxalement, le fait ne pas entendre Purple Haze, Red House ou Third Stone From Sun donne furieusement envie, si besoin était, de se replonger une fois de plus dans l’œuvre originale – ce dont, évidemment, on ne se lassera jamais.
Cette impossible quête d’authenticité est visiblement ce qui met les nerfs des hardcore fanatics de Jimi H. en pelote. Qu’ils relisent bien l’avertissement en ouverture du film : « Basé sur une histoire vraie ». On répète : « Basé ». Ce qui signifique que le scénariste, John Ridley lui-même, a pioché ce que bon lui semblait dans ce qui est vraiment arrivé dans la fulgurante carrière de Jimi Hendrix pour faire reposer son film sur quelque chose de tangible. Il s’est inspiré de cette réalité – mais quelle réalité au fait ? Celle racontée, revisitée, contestée, transformée, voire fantasmée depuis des lustres par des témoins plus ou moins sérieux ou des pseudos biographes qui, de plus en plus souvent, ne font que copier/coller le travail du voisin ? Cette réalité là, comme chacun sait, finit paradoxalement par être déconnectée du monde réel, pour se figer, toujours plus fascinante, dans un passé qu’il est difficile, voire impossible de faire revivre.
Ridley, en tant que scénariste et metteur en scène, ne s’est évidemment pas interdit de prendre quelques libertés avec cette réalité qui, comme toutes les réalités augmentées par la nostalgie des temps révolus, prête parfois à confusion. D’où ces “erreurs” hystériquement pointées ça et là par ceux qui pensent détenir la vérité. « L’acteur qui joue Hendrix ne sait même jouer de guitare… C’est joué par un rapper… », ai-je lu l’autre jour sur Facebook. « So what ? », comme disait le futur biopicturé Miles Davis.
L’acteur est effectivement un rappeur et, dans la réalité – la revoilà ! –, sait à peine jouer de la guitare. [Mais ils voulaient qui les messieurs qui croient tout savoir ? Steve Vai ? Joe Satrani ? Uli Jon Roth ? Robin Trower ? Steve Lukather ? John Mayer ? J’en doute…] Ce rappeur-acteur s’appelle André Benjamin et est plus connu sous le nom d’André 3000, ex (?) coleader d’Outkast, duo hip-hop d’importance. (Comme les carrières de rappeurs sont souvent aussi météoriques que celles des membres du “Club des 27” – Hendrix, Joplin, Morrison… –, nombreux sont ceux qui tentent, avec plus ou moins de bonheur, de se recycler dans le cinéma ou les séries TV. Ice T, Ice Cube et Queen Latifah ont ouvert le bal, Common et André Benjamin tentent visiblement de suivre leurs traces.)
Et il faut bien l’avouer : André Benjamin est formidable dans le rôle du Left Handed Wizard. L’allure, la voix, les intonations, cette humilité presque, dit-on, maladive, ce côté détaché, lunaire, un rien caustique : tout y est. Benjamin incarne toutes les nuances de cette si complexe personnalité avec beaucoup d’élégance et de finesse. Janie Hendrix et ses sbires travaillent d’ores et déjà sur le biopic “officiel” de leur poule aux œufs d’or ? On souhaite bon courage à celui qui va se glisser à son tour dans la peau de l’Electric Genius !
O.k., on trouve plus d’une fois le temps long en regardant Jimi, All Is By My Side. O.k., ça bavarde à n’en plus finir, le film est curieusement éclairé, le côté cut-up de certaines scènes, truffées d’image (plus ou moins) subliminales taquine plus que de raison la rétine. O.k., les seconds rôles ne sont pas exceptionnels, à l’exception d’Imogen Poots, qui joue le rôle de Linda Keith, fiancée officielle de Keith Richards et “découvreuse” de Jimi Hendrix (au temps où il se faisait encore appeler encore Jimmy James), et d’Andrew Buckley, qui incarne Chas Chandler (bien qu’il soit plutôt le sosie de Noël Akchoté !), le bassiste des Animals reconverti producteur-manager qui arriva, sans trop insister (chouette scène de rencontre entre les deux personnages), à convaincre Hendrix de traverser l’océan Atlantique pour poser ses valises à Londres – avec le résultat qu’on sait : le plus grand, le plus beau séisme de l’histoire de la musique moderne.
Mais si l’on veut bien passer outre ces défauts qui font moins de Jimi, All Is By My Side un mauvais film qu’un film raté (les films ratés ne sont pas sans charmes), on peut prendre certain plaisir grâce à quelques scènes très réussies. La scène d’intro, où Imogen Poots/Linda Keith dévore des yeux ce guitariste inconnu qui, déjà, se fait remarquer à son avantage dans l’ombre de Curtis Knight, est remarquable. Parce que la musique est sous-mixée, elle se fait l’écho du quotidien du futur guitar heroe adulé par les foules : un guitariste visiblement surdoué que personne, étrangement, n’avait entendu ou remarqué dans son pays natal, à l’exception d’autres musiiens afro-américains (Curtis Knigh donc, mais aussi les Isley Brothers ou Little Richard).
On aime aussi la scène où Chandler, Hendrix et Oliver Bennett/Noel Redding tirent à pile ou face celui qui deviendra le batteur de l’Experience – Mitch Mitchell ou Aynsley Dunbar ? Bing, Mitch Mitchell ! « Avec son côté Elvin Jones », précise Benjamin/Hendrix. Ou celle où notre ex-parachutiste qui vient d’atterrir dans la Foggy City rencontre un activiste noir qui lui fait prendre conscience de son statut d’Afro-Américain labélisé « sauvage » et « diabolique » par les médias – là, Ridley anticipe ce qui se passera en fait un peu plus tard dans la vie du bluesman mutant, mais qu’importe, la scène est très bien écrite. Ou encore : la scène finale (Hendrix interpète au débotté Sgt Pepper’s Lonely Heart Club Band des Beatles devant un public médusé) et la brève passe d’arme live entre Hendrix et Eric Clapton.
Bref, il y a suffisamment de bons moments pour casser votre billet de cinq euros dans quelques mois – car, n’en doutons pas, le dvd de Jimi, All Is By My Side sera très vite en vente chez les soldeurs.
DVD / blu-ray Jimi, All Is By My Side, écrit et réalisé par John Ridley (Universal, sortie le 26 mai). Sinon l’originale du Psychedelic Maestro, on entend de la très bonne musique tout au long du film : T-Bone Walker, Buddy Guy, Otis Rush, James Brown, Terry Riley, The Animals, Pentangle, The Yardbirds, The Small Faces, Stevie Winwood…
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