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Rétrospective

Led Zeppelin & “Physical Graffiti”, #6

C’était il y a quarante ans, le 25 février 1975. “Physical Graffiti”, le sixième (et double) album de Led Zeppelin commençait de squatter les facings des disquaires. Depuis, il ne les a jamais quitté. Jimmy Page vient d’en superviser la réédition ultime. Voyons voir ça, épisode #6.

Dans les années 1990/2000, support cd (dés)oblige, et dans à peu près tous les genres musicaux, jazz, rock et hip-hop en tête, la durée moyenne des albums a augmenté de façon notable, voire vertigineuse, dépassant souvent les soixante-dix minutes de musique. En vinyle, ils auraient donc tous été double ! (A quelques minutes près, “Physical Graffiti” pourrait tenir sur un cd simple…)
Dans les années 1970, publier un double album était un événement, un manifeste esthétique, un pari osé qui suscitait immanquablement des angoisses du côté des maisons de disques, à cause de son prix forcément plus élevé (« Ça ne se vendra pas ! »). Un album simple avait déjà, en tous sens, deux faces. La visible (la première) et la cachée (la seconde), celle qu’on découvrait en faisant l’effort de retourner le disque. (Ecouter pour la première fois un 33-tours sans respecter le sacro-saint ordre des faces ? Vous n’y pensez pas !)
Alors, imaginez, un double album ! Quatre faces à apprendre par cœur ! Non pas un mais deux univers à explorer et, dans le cas de “Physical Graffiti”, deux univers très différents. Difficile de se perdre dans le premier, tout en boulevards larges et majestueux, menant chacun à un monument dont l’entrée était clairement indiquée. Dès les premières secondes, le riff ferraillant de Custard Pie prenait possession de nos tympans, l’intro sinueuse de In My Time Of Dying nous faisait de l’œil, le groove éléphantesque de Trampled Underfoot nous prenait aux tripes. Quant à Kashmir
Le trip sonique du second, en revanche, était balisé d’une toute autre manière. De prime abord, moins facile d’accès. Neuf titres, de durée très variable, au lieu de six. Un ensemble nettement moins homogène que celui du premier 33-tours. Limite hétérogène même. Mais avant de s’y plonger à nouveau, attardons-nous aujourd’hui sur le Companion Disc™ de l’édition 40ème anniversaire, celle qui, ne l’oublions pas, est l’héroïne (sans jeu de mots) de la première rétrospective publiée sur le site qui aime les musiques que vous, muziq.fr.

LZ PG Pochette CompanionDepuis que Jimmy Page a commencé la réédition des huit albums studio de Led Zeppelin, nous entendons de-ci de-là quelques voix discordantes sur le contenu de chaque Companion Disc™. « L’aurait dû mettre des live plutôt… – Moi j’aurais préféré un dvd… – Quand on sait tout ce qui existe en pirate, pourquoi est-il si radin en inédits et en version alternatives ? – Il met John Bonham en valeur, mais via les (trop) nombreuses version instrumentales, son “ami” Robert Plant, comme par hasard, est moins bien traité… » Etc. etc.
On peut certes comprendre que l’appétit des fans ne soit jamais rassasié. Mais il ne faut pas oublier que si Led Zeppelin s’est dès les premières secondes du premier morceau du premier album distingué de tous les autres groupes, c’est au côté ultra-perfectionniste de Jimmy Page qu’on le doit. Guitariste architecte, compositeur visionnaire, producteur génial, Jimmy Page est un control freak, et Led Zeppelin l’œuvre de sa vie. Le simple fait qu’il n’ait jamais songé à louer ses talents de producteur – nous voulons dire : après la naissance de Led Zeppelin… – à d’autres artistes ou d’autres groupes prouve bien que son esprit est depuis 1968 totalement mobilisé par son groupe chéri.
The Firm, “super groupe” qui n’a tenu ses promesses que par intermittence, son album solo que personne n’aime, sa brève union avec David Coverdale, scellée à la fois trop tôt (en 1995, le classic rock n’était pas encore un genre codifié) et trop tard (comme dirait Francis Zégut, le beau David ne ressemblait pas encore à « Rosy Varte dans le feuilleton Maguy », mais presque…) : autant échecs plus ou moins cuisants dus, à notre humble avis, à un manque de concentration, d’engagement. Jimmy Page, à l’évidence, n’a jamais vraiment cru à ces projets, ou bien pas assez longtemps, il ne s’y est pas investi corps et âme, l’ombre du dirigeable était bien trop grande, et cela s’entend, même si un “best of” des années 1985/1995 aurait fière allure. (Le meilleur Jimmy Page post-Zeppelin, c’est la BO de “Death Wish 2”, lire aussi http://www.muziq.fr/jimmy-page-refait-son-cinema/).

LZ Headley Grange Companion DiscPour revenir aux frustrations de fans évoquées plus haut, et pour rester dans la période de création de “Physical Graffiti”, il est vrai que circulent sous le manteau – aujourd’hui, on dit “sur le Net”… – diverses prises alternatives, versions instrumentales, et quelques rares inédits, pour la plupart gravés à la fameuse Headley Grange entre fin 1973 et début 1974.
De superbes versions “dé-Plantées” de The Wanton Song, de Sick Again et de Kashmir donc ; d’autres versions alternatives de In The Light (avec des paroles différentes), de Custard Pie, de The Rover (en duo acoustique !), de The Wanton Song ; des instrumentaux sans titre, un inédit “country-funk”, Take Me Home, très proche de The Wanton Song… Sans parler de Swan Song, le légendaire magnum opus jamais vraiment achevé (si ce n’est avec The Firm), ni des passionnantes working sessions de In My Time Of Dying, durant lesquelles Plant et Bonham se prennent gentiment le chou…
Mais Jimmy Page, encore une fois, a opté pour le less is more, estimant sans doute qu’il n’était pas nécessaire d’en rajouter, vue la durée et la richesse du double opus original – nous entendons déjà les ronchons : « Mouais, il n’a pas été franchement plus généreux avec les albums précédents ! » Certes. Mais c’est comme ça. C’est le gardien du temple qui a les clés. Et il ne sait que trop, puisqu’il les collectionne lui-même, que les bootlegs du Zep contiennent déjà ces trésors qui ont certainement plus d’importance pour les fans – parce qu’ils sont rares, parce qu’ils ont le goût de l’interdit – que pour lui, qui n’aime rien tant que la perfection, l’achevé, le prêt-à-entrer-dans-la-légende.

LZ PG CD Companion DiscAinsi, le Companion Disc™ de “Physical Graffiti” contient quarante et une minutes et vingt-neuf secondes de musique. Trampled Underfoot (renommé avec un rien d’autodérision Brandy & Coke), In My Time Of Dying (c’est quoi ce bruit étrange à 2’34” ?) et In The Light (renommé Everybody Makes It Through), qu’on jurerait enregistrées live lors d’une BBC session (impossible, puisqu’à cette époque les boys du Zep’ ne participaient déjà plus à aucun radio show). Une Early Version (instrumentale, avec Jimmy Page à la basse) de Sick Again. Un Rough Mix de Houses Of The Holy (oui, bon…). Le Sunset Sound Mix du récréatif Boogie With Stu (pas plus décisif que le Sunset Sound Mix de Stairway To Heaven…). Et Driving Through Kashmir, soit Kashmir en version très (trop ?) subtilement alternative. Verdict : rien d’absolument indispensable, mais des bonus somme toute précieux. Mais moins, sans doute, que ceux du “II” et du “III”. A noter, dans le livret, que les dates et les lieux précis d’enregistrement de tous les morceaux du Companion Disc™ sont donnés : c’est bien ça, c’est très bien même. Jimmy Page garde-t-il sous le coude de mirifiques inédits que même les bootlegers n’ont jamais publié pour enrichir la future version de “Coda” ? On peut l’espérer, puisque “Coda” était un recueil d’inédits maquillé en album posthume. Mais il faudra attendre cet automne pour en (s)avoir plus… A bientôt, chers amis, pour la visite guidée du deuxième long playing de “Physical Grafitti”…

Frédéric Goaty & Julien Ferté [A suivre]