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Jeff Beck, la vie sur scène

Jeff Beck vient de publier un énième album live sobrement intitulé “Live +”. Julien Ferté l’a écouté. Visite guidée.

BECK Photo N&BJeff Beck n’est jamais sûr de lui. C’est même un éternel insatisfait, doublé d’un perfectionniste hésitant. Pour lui, la perspective de sortir un nouvel album studio est un crève-cœur (celui prévu l’an dernier a purement et simplement été annulé). En revanche, la scène est son jardin extraordinaire, et il a publié pas moins de quatre albums live depuis 2003 ! (Lire plus bas***). Est-ce bien raisonnable ? Non. Mais Jeff Beck n’a que faire d’être raisonnable. Quoi qu’il fasse, et quoi qu’il arrive, il est depuis des lustres entré dans la légende – ne lui dites pas, il pourrait presque rougir et se mettre à maugréer. Le degré d’expressivité qu’il a atteint sur son instrument [on me dit que c’est soi-disant une simple guitare électrique, mais il m’a toujours semblé que c’était bien plus que ça qu’il portait en bandoulière, quelque chose d’habité, de vivant] le place non seulement au niveau des plus guitaristes de l’Histoire, mais aussi à hauteur des plus grands vocalistes. Et même si son langage est avant tout ancré dans le blues, le rock’n’roll et la soul, il n’a rien à envier aux plus grands solistes jazz – comme Miles Davis en son temps, Jeff Beck peut vous faire chavirer une salle en faisant jaillir de la plus simple des mélodies un torrent d’émotion.

BECK CD LiveFallait-il cependant publier ce “Live +” alors qu’on attendait plutôt le successeur du déroutant “ Emotion & Commotion” de 2010 ? Avec, cette fois, le chanteur Jimmy Hall au micro (qu’on avait découvert en 1985 sur “Flash”), Nicolas Meier à la guitare rythmique, Rhonda Smith à la basse et Jonathan Joseph à la batterie, Jeff Beck revisite une fois de plus ses standards (Big Block et Where Were You), ceux des autres (Morning Dew de Tim Rose, You Know You Know du Mahavishnu Orchestra de John McLaughlin, A Change Is Gonna Come de Sam Cooke, A Day In The Life des Beatles, Superstition de Stevie Wonder, Little Wing de Jimi Hendrix, Rollin’ And Tumblin’, jadis popularisé par Muddy Waters, et Going Down de Don Nix), une vieille ballade anglaise (Danny Boy) et quelques titres plus récents (Loaded et Why Give It Away, extraits de “Yosogai”, le mini-cd paru au Japon l’an dernier, et Hammerhead). C’est ce répertoire extrêmement varié qui rend “Live +” pas moins indispensable, finalement, que ses live précédents. En quatorze morceaux, Jeff Beck regarde toute sa carrière dans le rétro, soit plus de quarante-cinq ans de musique(s). Via Morning Dew, c’est le souvenir du premier Jeff Beck Group de 1968 qui surgit. (Quel dommage qu’il n’ait pas pu s’entendre avec Rod Stewart pour qu’il puisse donner à nouveau quelques concerts ensemble…) A travers Going Down, celui du second Jeff Beck Group, avec Bob Tench au chant et Cozy Powell à la batterie. A Day In The Life, toujours prodigieusement réincarné/réinventé (vous allez pouvoir comparer avec les quatre autres versions déjà enregistrées !), nous rappelle son amour des Fab’ Four. Superstition renvoie à son amitié et ses collaborations avec Stevie Wonder – Beck était dans le studio (à la batterie !) quand, en 1971, Stevie se mit à jouer les accords de ce classique instantané… A Change Is Gonna Come reflète toute sa passion pour la soul music authentique et Danny Boy, enfin, son amour des mélodies pur sucre, de celles qui lui permettent de faire chanter sa guitare comme personne.

Alors, bien sûr, on pourra se dire que Jimmy Hall est loin d’être aussi enchanteur que la guitare “en chanteuse” de son patron, que trop de morceaux doublonnent avec les précédents live, mais tout cela ne nous empêchera pas de bouder notre plaisir. Car en 2015, chaque note jouée par Jeff Beck vaut de l’or. Le 24 juin, il fêtera ses 71 ans, et quand on l’écoute jouer Where Were You ou You Know You Know, on se dit que la flamme n’est pas prêt de s’éteindre.
Oups, on allait oublier : le “+” de ce live, ce sont deux titres studio (Tribal et My Tiled White Floor) sans doute extraits de l’album annulé évoqué plus haut. Hem, comme dire ? Vivement le prochain live !

BECK Rondelle 33tCD “Live +” (Deuce Music Ltd. / Atco / import).
33-tours “Performing This Week… Live At Ronnie Scott’s” (Eagle Records / Universal, à paraître le 8 juin). Ce triple 33-tours reprend l’intégralité du CD sur les quatre premières faces. La cinquième est consacrée aux guests : Joss Stone sur People Get Ready, Imogen Heap sur Blanket et Rollin’ And Tumblin’ et Eric Clapton sur Little Brown Bird et You Need Love. La sixième à sept rock’n’roll songs interpretées avec The Big Town Playboys. (Les faces 5 et 6 reprennent en fait le contenu du dvd.) [Merci à Isabelle Louis]

*** Les autres live publiés par Jeff Beck depuis 2003 :

“Jeff Beck Live – B.B.King Blues Club & Grill – New York” (disponible à l’origine via www.jeffbeck.com ou au Japon sur Epic / Sony Music), avec son incroyable trio composé de Tony Hymas aux claviers et Terry Bozzio à la batterie (qui officiaient bien sûr le fantastique “Jeff Beck ’s Guitar Shop”) ;
“Official Bootleg Live ’06” (paru en 2006 uniquement au Japon, sur Deuce Music Ltd. / Sony Music), avec Jason Rebello aux claviers, Pino Palladino à la basse et Vinnie Colaiuta à la batterie ;
“Performing This Week… Live At Ronnie Scott’s” (2008, Eagle Records, également disponible en dvd, en blu-ray et, donc, en triple 33-tours 180g), le classique des classiques, avec Jason Rebello aux claviers, Tal Wilkenfeld à la basse et Vinnie Colaiuta à la batterie ;
“Live And Exclusive From The Grammy Museum” en 2010 (Deuce Music Ltd. / Atco), avec Jason Rebello aux claviers, Rhonda Smith à la basse et Narada Michael Walden aux claviers.
Somme impressionnante à quoi il faut ajouter la “Rock’n’Roll Party – Honouring Les Paul” de 2010 et le “Live In Tokyo” de 2014, uniquement disponibles dvd et en blu-ray chez l’excellent éditeur Eagle Vision.