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Hommage

Le Roy est mort

HARGROVE Photo 1

Nous venons d’apprendre la disparition du trompettiste Roy Hargrove, et comme nombre d’amateur de jazz, nous sommes sous le choc.

C’était il y a quelques heures, au Pavillon Carré de Baudouin, là où chaque premier samedi du mois de fidèles amoureuses et amoureux de musique nous font l’honneur de leur présence. Parmi eux, l’ami Georges, batteur et real music lover, comme il aime à juste titre se présenter. Quelques minutes avant que la musique de Marcus Miller ne se mette à rythmer le “C2B”, Georges me fait signe, l’air très attristé : « Fred, tu es au courant ? Roy Hargrove vient juste de mourir, tous mes potes en parlent sur les réseaux sociaux… » Ainsi, avant de replonger deux heures durant dans la musique de Marcus Miller, celle de Roy Hargrove me revient soudainement en pleine figure. La mort ne frappe jamais au bon moment. Aux alentours de 17h45, nous finissons par lui dédier modestement notre petite conférence…
La mort de Roy Hargrove, hélas, trois fois hélas, ne nous surprend pas tant que ça. Depuis des années, on le savait cerné par de graves problèmes de santé. Roy Hargrove, né le 16 octobre à Dallas, ne fêtera jamais ses 50 ans. Chienne de vie.

Roy Hargrove, on se souvient de ses débuts, vers la fin des années 1980. Au sein des Young Lions de sa génération, c’est lui qui faisait la plus forte impression. L’ami Stéphane Ollivier se souvient forcément, comme moi, de ce bœuf mémorable au New Morning : Roy Hargrove et Antonio Hart, les nouvelles signatures de RCA Novus, étaient venues mettre le feu au concert du trio de Branford Marsalis. Ce devait être en 1990, l’année de la sortie du premier (et bien nommé) album de Roy Hargrove, “Diamond In The Rough”.
Rapidement adoubé par les plus grands – Wynton Marsalis, et plus encore Sonny Rollins, à qui la nouvelle va forcément faire un choc terrible –, Roy Hargrove devient l’un des voix majeures du néo-jazz acoustique. Il signe sur Verve comme un signe au Real, et rejoint ses grands frères : Johnny Griffin et Joe Henderson jouent sur “With The Tenor Of Our Time”. En 1996, il enregistre, rien que ça, avec Oscar Peterson.

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Mais cette forte tête n’a jamais oublié ses jeunes années, autant passées à écouter les disques Blue Note seventies de Donald Byrd, au moins aussi influents – voire plus – pour la jeunesse jazz des années 1970 et 1980 que ceux de Miles Davis (sans oublier, évidémment, les grands crus de Woody Shaw, l’autre modèle de toute cette génération née à la fin des sixties).
Mais il n’y avait pas que le jazz dans la vie de celui qui, à Dallas, avait formé un duo avec Erykah Badu la rappeuse (oui, “la Badu” a aussi rappé). En 2004, on l’avait soumis pour Jazz Magazine aux pièges (sur mesure) du blindtest.
Ce jour-là, lui qui pourtant adorait vous faire sentir que les interviews, c’était pas son truc, il avait été radieux, bavard et très réceptif [nous republierons très bientôt ce blindtest in extenso où il parlait de Q-Tip, Miles Davis, Donald Byrd et Prince, entre autres, NDR].
2004, c’était l’époque du très populaire RH Factor, qui nous aura laissé deux albums essentiels, “Hard Groove” (2003) et “Distractions” (2006), sans oublier le EP “Strenght” (2004). Trois opus qui reflétaient façon kaléidoscope les influences multiples de Roy Hargrove : soul, funk, jazz, jazz-funk et hip-hop, mon tout brassé dans un esprit ouverte et positif. Ces premières années 2000, c’était aussi l’époque de “Voodoo” de d’Angelo, de “Like Water For Chocolate” de Common, deux albums marqués par la présence de Roy Hargrove.
Et comme il n’aimait rien tant que zapper tout naturellement entre ses passions, Roy Hargrove a aussi tourné avec Herbie Hancock et Michael Brecker, joignant ainsi le panthéon des grands solistes.
Messieurs Akinmusire, Scott et Crocker, à vous de jouer maintenant. On compte sur vous. Et nous n’oublierons jamais Roy Hargrove. •