Les grands disques sont souvent au cœur d’un système sonore. Ils sont des étoiles autour desquelles gravitent d’autres disques. Ainsi, “To Pimp A Butterfly” de Kendrick Lamar nous a envoyé vers “3ChordFold” de Terrace Martin, certes paru en 2013, mais sur muziq.fr, il n’est jamais trop tard pour partager des coups de cœur.
Terrace Martin, on connaissait son nom, qu’on avait lu dans le livret du précédent Kendrick Lamar, “good kid, m.A.A.d city, a short film by Kendrick Lamar” (un must), ainsi que dans celui de “Black Radio 2” du Robert Glasper Experiment (bof bof). Et quand on l’a relu, toutes les trois lignes, dans le livret de “To Pimp A Butterfly”, et qu’on a peu à peu réalisé qu’il jouait un rôle crucial dans le chef-d’œuvre du surdoué de Compton, on s’est décidé à acheter son cd, “3ChordFold”, auquel ont contribué un grand nombre d’artistes que l’on retrouve dans “To Pimp A Butterfly” : Marlon Williams (guitare), Joseph Linebrug (trompette), Robert Glasper (claviers), Lalah Hathaway, James Fauntleroy (chant), Snoop Dogg (rap)… Pas forcément terrassé par ce Martin à la première écoute, nous avons cependant insisté, car quelque chose nous disait que… Nous avons bien fait. “3ChordFold” n’est certes pas un disque du calibre de “To Pimp A Butterfly”, mais il surpasse allégrement l’opus 2 de la “Black Radio” de l’Experiment évoqué plus haut (sorry Bobby). Tout simplement parce qu’à la manière de “To Pimp…”, il nous raconte une histoire, il nous emmène dans un autre univers. Les talents de MC de Martin sont au niveau de son jeu de saxophone alto (sa fiche Wikipedia vous révélera son pédigré jazzistique).
C’est un excellent producteur, qui mêle le meilleur de la culture rythmique hip-hop à certaine sensualité soul/R&B, avec une jazz touch de très bon goût, un geste musicien prononcé, des idées de mise en scène et en son, des couleurs, des contrastes. Vous allez voir ce que vous allez entendre. Difficile de résister, par exemple, au groovy-coquin Triangle Ship, dont le guest rapper se nomme, tiens donc, Kendrick Lamar. Au classieux Get Away, où les volutes de sax alto se mêlent avantageusement à la voix de Neka LB Brown. A No Wrong No Right, où Glasper fait pétiller son Fender Rhodes comme dans These Walls de Kendrick Lamar. A cette reprise bien sentie de I Can’t Help It, qui prolonge Gone, pour plus de douze minutes d’une ambitieuse épopée kaléidoscopique décoincée du style (et l’on se dit, encore une fois, que Martin est vraiment un bon MC, un bon chanteur et un bon saxophoniste).
Ok, votre serviteur a deux ans de retard, mais avec le Lamar et le Joey Badass, “3ChordFold” lui redonne envie de se plonger dans la sphère hip-hop post-moderne, et de mettre de côté ses vieux A Tribe Called Quest, Public Enemy, Gang Starr, Jeru The Damaja et autres Madlib… Pour enfin croire à nouveau à l’avenir de cette musique qui m’est chère.
Bref, si comme moi vous n’arrivez pas à vous désaccoutumer de “To Pimp…” (je sais, c’est dur), achetez ce disque, c’est le meilleur des remèdes ! Terrace Martin est déjà un excellent musicien, mais nul doute qu’il est en passe de devenir un grand musicien. On parie ? Ce jeune homme a largement sa place sur un label comme Blue Note ou Impulse.
CD “3ChordFold” (Empire / Import USA)
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