Toto comme en “XIV” On les croyait perdus, séparés, ringardisés, fâchés. Mais non. Le quatorzième chapitre de l’histoire de Toto est l’un des plus réussis depuis des lustres. Le Doc vous dit pourquoi.
J’adore Simon Phillips. C’est un formidable batteur de séance – et un type charmant – qui a participé à des disques essentiels : “There And Back” de Jeff Beck, “801 Live” de Phil Manzanera, le premier album du Michael Schencker Group, “Paris, France” de France Gall, “How’s Trick” du Jack Bruce Band, “Russ Ballard” de Russ Ballard (1984), “White City” de Pete Townshend, etc., etc. Mais je n’ai jamais bien compris pourquoi Steve Lukather et les Toto boys l’avaient choisi pour remplacer le certes irremplaçable Jeff Porcaro. J’ai trouvé que son style disons, “post-billycobhamien”, ne convenait pas du tout aux chansons de Toto. Pour servir les rock songs de Lukather, passe encore, mais dès qu’il s’agissait de faire le métier sur les tempi groovy, quelque chose n’allait pas, et le fantôme de Jeff revenait hanter mes vieux tympans. (Il est cela dit toujours le bienvenu.) Du coup, je n’ai jamais réussi à aimer les Toto featuring Simon Phillips (hormis quelques passages du dernier en date, “Falling In Between”). Alors que je serais capable de parler des heures durant avec mes vieux amis des mérites comparés de “Toto”, “Hydra”, “IV”, “Fahrenheit”, “The Seventh One”, et même “Isolation” (si, si). Je pense qu’en lieu et place de Monsieur Phillips, un Carlos Vega (qui hélas a rejoint Jeff Porcaro au paradis des batteurs), un John Robinson ou un Rick Marotta auraient cent fois mieux fait l’affaire. Passons. Je m’égare.
Car il s’agit aujourd’hui de vous donner mon sentiment à propos de “XIV”, publié par le label italien Frontiers, le refuge des SLF (Sans Label Fixe) du rock FM des glorieuses années 1970/1980. Le jour où j’ai appris que Simon Phillips rendait son tablier, j’ai sauté de joie ! (Simon doit plus souvent refuser du travail qu’en accepter, je ne me fais aucun souci pour lui.) Et quand j’ai su, dans la foulée, que c’était Keith Carlock – Wayne Krantz, Steely Dan, Sting, Oz Noy, Mike Stern… – qui lui succédait pour participer à l’enregistrement de “XIV”, je me suis immédiatement dit : “Bonne pioche. Très bonne pioche. Ils risquent de faire leur meilleur album depuis “The Seventh One”. Karlock swingue et groove comme personne, et peut aussi faire parler une puissance hors du commun.” (Ceux qui en doutent devraient écouter le phénoménal “Krantz Carlock Lefebvre” de 2009, paru sur Abstract Logix.)
Votre Doc ne s’était pas trompé : “XIV” est bien le meilleur Toto depuis des lustres. Le meilleur depuis “The Seventh One” précisément. D’abord parce que c’est un vrai disque de groupe. Oui cher Steve Lukather, c’est vous que mon regard suit : il me semble que vous aviez pris trop d’importance dans les Toto post-Jeff Porcaro. Ce n’est évidemment pas votre immense talent que je remets ici en cause – j’estime que votre “Luke” de 1997 surpasse tous les Toto parus depuis 1992 –, mais juste votre hyper-présence.
Cette fois, David Paich, Steve Porcaro et Joseph Williams repris le dessus, et cette forme d’équilibre créatif retrouvée fait plaisir à entendre. Autour de ce noyau de glorieux anciens, quelques amis, ceux que j’appelle les “héros de studio”, sont venus prêter main(s) forte(s) – louer diront les mauvaises langues, et on sait qu’il en pendouille beaucoup autour de Toto… Le bassiste Tim Lefebvre (du trio de crazy jazz évoqué plus haut), le claviériste CJ Vanston qui, à en croire les témoignages du DVD bonus de la Deluxe Edition, a joué un rôle décisif (j’imagine que c’est un genre de Greg Phillinganes, un expert des synthés, un arrangeur surdoué, quelque chose comme ça), le grand soulman Michael McDonald, sans oublier votre premier bassiste, celui de l’âge d’or, David Hungate.
Un quartette de base + des sessionmen avertis = un équation un rien “steelydanienne” je trouve… Et d’ailleurs, l’influence du génial duo pop-jazz se fait ressentir plus d’une fois. Dans le superbe 21st Century Blues notamment, qui me fait penser à Black Friday (“Katy Lied”, 1975, avec, tiens, tiens, Jeff Porcaro à la batterie…), et dont la coda fait ressurgir le souvenir (ému) de Rosanna. La magie Toto n’opère pas tout au long du disque – c’eut été trop beau… –, mais elle surgit régulièrement, telle un vieux lapin en peluche sortant d’un chapeau claque (celui de David Paich !).
Dans l’intro de Burn, le pont de Holy War, les fulgurances de Great Expectations (rien à voir avec le morceau de Miles “Don’t Stop Me Now” Davis), et plus encore dans Chinatown, où elle opère d’un bout à l’autre, avec son groove à la Georgy Porgy – bravo monsieur Karlock ! Et tant pis si les paroles nunuches et/ou maladroitement “engagées” font une fois de plus sourire (mais ce n’est jamais pour ça, il faut bien l’avouer, qu’on a écouté Toto), et peu importe ces dérapages pompiers, ces « wooo hooo hooo », car rien ne nous empêchera de bouder le plaisir de retrouver un groupe en excellente forme qui, aujourd’hui encore, et plus que jamais, reste sans équivalent sur la planète pop. [Merci à Xavier Gatinel]
CD “XIV” (Frontiers / La Baleine).
Net www.totoofficial.com
De gauche à droite : Joseph Williams, Steve Lukather, Steve Porcaro et David Paich.
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