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David Sancious, le Boss des claviers

En 2001, le label One Way Records rééditait pour la première fois en cd “Move” et “Just As I Tought”, les deux albums cultes du claviériste et guitariste afro-américain David Sancious. Mais l’un comme l’autre devinrent rapidement aussi collector que les vinyles originaux ! BGO Records les rend à nouveau disponibles via le traitement maison, “2 LP on 1 CD”, remasterisation soignée et liner notes signées Charles Waring.

Quelle ne fut pas ma surprise quand en 2010 votre bon vieux Doc découvrit qu’Agitation d’Erykah Badu (“New Amerykah Part Two”, Motown) était basé sur le bref instrumental de David Sancious nommé Just As I Thought. Il n’était donc pas le seul à vouer un culte fervent à l’album du même nom que le claviériste et guitariste avait enregistré en 1979 pour Arista !
Cela dit, j’avais déjà plus d’une fois partagé ma passion pour “Just As I Thought” et son prédécesseur “Tone” (1978) en taillant le bout de gras avec quelques geeks de ma génération scotchés dans les rayons soul, rock ou jazz de Gibert Joseph, de la Fnac ou du Virgin Megastore. Mais constater que cette musique que je croyais seulement susceptible d’émouvoir les dingues de jazz-rock et de prog rock pouvait aussi inspirer des artistes issus de la sphère soul/hip-hop me fit chaud au cœur.

Quand on parle de David Sancious, on rappelle immanquablement qu’il fut le claviériste (et parfois même le saxophoniste !) de Bruce Springsteen dans la première moitié des années 1970. Logique, puisqu’il joue un rôle essentiel auprès du “Boss”, et imprima sa marque jusqu’en 1975 : relisez bien, par exemple, les crédits dans la chanson-titre de “Born To Run”. « Keyboards : David Sancious. Drums : Ernest “Boom” Carter. » Un an plus tard, Sancious et Carter unissaient leurs talents à ceux du bassiste Gerald Carboy pour former un power trio jazz-rock, sorte de David Sancious Experience futuriste. Deux albums au compteur, l’un sous le nom de David Sancious, “Forest Of Feelings” (1975) et l’autre sous celui de David Sancious & Tone, “Transformation (The Speed Of Love)” (1976), tous deux publiés par Epic et réédités en 2014 par Esoteric Recordings.

sancious-pochette-danceTrois ans plus tard, David Sancious signe un nouveau contrat d’enregistrement avec Arista. On lui promet de sortir d’abord “Dance Of The Age Of Enlightment”, enregistré en 1976 en Californie et qu’Epic avait refusé. Ce disque totalement décomplexé et furieusement seventies est aussi fascinant – sinon plus ? – que les meilleurs opus de Yes ou d’Emerson, Lake & Palmer, deux groupes que Sancious admire, au même titre Genesis et Led Zeppelin. Le claviériste y est au sommet de son art. [On conseille à Flying Lotus de l’écouter en boucle, au cas où il ne le connaîtrait pas encore, NDR] Mais “Dance Of The Age Of Enlightment” reste hélas sur les étagères du label de Clive Davis… (Il ne sortira que brièvement en cd au Japon, en 2004.)

sancious-pochette-bgoEn 1978, Sancious embauche le soulman écossais (si, si, ça existe) Alex Ligertwood (futur chanteur de Santana), nomme les deux choristes Gail Boggs et Brenda Madison membres officielles de Tone et enregistre “True Stories”, premier des deux albums réédités par BGO Records. Plus accessible que Dance Of The Age Of Enlightment”, “True Stories” balance naturellement entre prog rock à la Yes/ELP (l’album est coproduit avec Eddy Offord, collaborateur historique de ces deux groupes), soul mystique (les paroles !) et jazz-rock façon Return To Forever. Un mélange qui n’a rien pour plaire la Police du Rock, ni à celle du Jazz… Le public n’est pas vraiment au rendez-vous non plus. Pourtant, au fil des ans, cet album ambitieux, d’une étonnante richesse musicale, d’un lyrisme contagieux et porté par un groove souvent – voire toujours – absent des œuvres “prog” a fini par entrer dans l’imaginaire collectif de la majorité silencieuse des fans de vraie musique jouée par des vrais musiciens.

Un an plus tard, Tone n’est plus mais David Sancious fait toujours équipe avec le batteur Ernest Carter. À leurs côtés, T.M. Stevens et Jeff Berlin (qui n’allait pas tarder à rejoindre Bruford) alternent à la basse électrique ; Brenda Madison est toujours présente, Kabir Ghan chante sur deux titres, mais “Just As I Thought” est plus orienté jazz-rock, et donc majoritairement instrumental. Pour autant, les fans de Yes, et plus encore de U.K. (à la guitare, le style Sancious rappelle celui du génie anglais Allan Holdsworth) y trouvèrent leur compte – écoutez Suite (For The End Of Age).

Dans la décennie suivante, David Sancious deviendra le claviériste et directeur musical de Sting, Peter Gabriel et Eric Clapton. Même France Gall fera appel à lui, et on se souvient de son groupe où brillaient Sancious, mais aussi Kamil Rustam, Sonny Thompson et Michael Bland.

Merci et bravo à BGO Records d’avoir rendu à nouveau disponibles “True Stories” et “Just As I Thought”. Et maintenant, au tour de Dance Of The Age Of Enlightment” ? •

CD “True Stories / Just As I Thought” (BGO Records).