Fool marque le quarantième anniversaire des débuts de carrière de Joe Jackson. Pour Muziq, il évoque l’écriture de son nouvel album studio, l’art de la reprise, sa prochaine tournée… et réévalue sa discographie.
Muziq : La gestation de Fool, votre nouvel album, a semble-t-il été rapide.
Joe Jackson : Oui, c’est vrai : j’ai commencé à travailler sur ce nouvel album dès le lendemain du dernier concert de ma précédente tournée, il y a deux ans. Les conditions étaient à peu près les mêmes que celles de l’enregistrement de mon premier album Look Sharp, qui était sorti en 1979. À l’époque, nous avions donné à peine quelques concerts, mais le groupe était déjà prêt à enregistrer les chansons en studio.
Fool est votre vingtième album studio. Il marque aussi vos quarante ans de carrière.
Je ne compte pas mes albums. En revanche, il tombe pile quarante ans après la sortie du premier, c’est un fait. Quarante est un chiffre rond qui, au fond, ne signifie pas grand-chose, sinon une bonne excuse pour faire la fête…
Certaines thématiques de Fool correspondent pourtant à l’idée du vieillissement, du temps qui passe.
Tout à fait : il y a trois chansons essentielles d’un point de vue thématique dans Fool, car elles incarnent des valeurs importantes lorsqu’on est un artiste vieillissant : « Friend Better » parle de l’amitié, « Alchemy » traite de l’art qui continue à vous toucher, à vous émouvoir et « Fool » évoque l’importance du sens de l’humour. Cette dernière chanson est un joyeux foutoir, une sorte de carnaval de cinq minutes. Elle correspond aussi à la personnalité du fool, du bouffon qu’on peut croiser dans les pièces de Shakespeare comme La nuit des rois. Il peut baisser son froc, faire quelque chose de complètement inattendu ou de politiquement incorrect sans prévenir. C’est mon super-héros préféré… Dans le cas d’« Alchemy », je voulais quelque chose dans le style d’Henry Mancini ou d’un générique de James Bond. Un grand arrangement romantique, en technicolor. J’aime beaucoup cette chanson, qui traite à la fois de magie et d’art, car je suis persuadé que l’artiste est un magicien, et vice-versa. Pour « Friend Better », je voulais écrire une sorte d’hymne soul dans le style de la Motown, même si au départ, j’avais imaginé une chanson country (une sirène de police interrompt l’interview). L’émeute a déjà commencé ? On m’a conseillé de partir vendredi soir. Dommage, j’aurais bien aimé passer le week-end à Paris…
« Dave » est aussi une excellente chanson pop, dans l’esprit des Beatles.
C’est amusant, car on me dit souvent que le personnage principal cette chanson fait penser à celui de « The Fool on the Hill ». En réalité, il s’agit simplement d’une blague, car dans la ville d’Angleterre d’où je viens (Burton-Upon-Trent, Straffordshire ndr.), j’ai l’impression que tout le monde s’appelle Dave. C’est une sorte de running gag quotidien. « J’ai vu Dave l’autre jour ». « Ah bon, lequel ? » (rires). Dave, c’est le type que personne ne remarque, même lorsqu’on le croise tous les jours, mais je suis persuadé qu’il est plus heureux que bien d’autres personnalités à la vie plus trépidante.
Four Decade Tour, votre prochaine tournée, sera essentiellement basée sur le répertoire de Fool, mais aussi sur ceux de Look Sharp, Night and Day, Laughter and Lust et Rain. Lors de notre dernière rencontre, vous aviez avoué que vous aviez beaucoup de mal à réécouter vos premiers albums.
J’étais sans doute de mauvaise humeur ce jour-là (rires) ! Ceci dit, je pense que c’est vrai. À l’époque, je n’étais pas un aussi bon songwriter. Je suis devenu un bien meilleur parolier. Look Sharp et quelques-uns de mes premiers disques sont très durs à réécouter aujourd’hui, je l’admets. Les paroles sont effroyables. Je suis aussi effaré par le nombre d’albums que j’ai enregistré entre 1979 et 1991. J’en ai trop fait, et j’aurais certainement gagné en qualité en prenant plus de temps entre deux projets.
Depuis de nombreuses années, vous avez aussi l’habitude d’interpréter des reprises sur scène. À L’Olympia, en 2016, nous avions eu droit à « Big Yellow Taxi » de Joni Mitchell et « Scary Monsters » de David Bowie.
Je garde un souvenir assez pénible de ce dernier concert à Paris. À L’Olympia, je souffrais d’une bronchite. Je tenais à peine debout, c’était horrible. Malheureusement, ça arrive souvent lors de ces tournées d’hiver. Nous sommes une équipe de huit personnes, et il suffit que quelqu’un tombe malade pour que tout le monde le soit ensuite… Pour revenir à la question, j’ai deux critères pour mes reprises sur scène : je dois être capable de les chanter, ce qui n’est pas toujours facile et, surtout, je dois trouver l’idée qui va rendre cette reprise différente de la version originale. Si ces deux critères ne sont pas réunis, je passe à autre chose. Ça ne sert à rien de jouer les imitateurs, sinon on tombe dans la flatterie. Or, il est plus flatteur de rendre hommage en insufflant sa propre touche de créativité. Il faut toujours rencontrer l’artiste à mi-chemin, et je fais aussi la même chose pour mes propres chansons. Lorsque je reprends sur scène d’anciens titres comme « Is She Really Going Out With Him » ou « Steppin’ Out », j’ai l’impression de reprendre les chansons d’un autre, alors qu’il s’agit d’un autre moi datant d’il y a très longtemps. C’est un sentiment étrange parfois…
Joe Jackson Fool (Ear Music/Verycords). Disponible le 18 janvier. En concert à Paris (Olympia) le dimanche 14 avril.
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