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Judith Owen : “Le jazz, c’est du sexe“

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Dans Come On & Get It , la singer-songwriter galloise et son big band néo-orléanais explorent avec humour et élégance les chansons à “double-entendre“ du répertoire jazz-blues d’après-guerre.

Quatre ans après RedisCOVERed, un album de relectures personnalisées de hits contemporains choisis, d’Ed Sheeran à Drake, Judith Owen récidive avec un second recueil de reprises puisées d’une source inattendue : conçu durant les restrictions du confinement, Come On & Get It ouvre le songbook méconnu des chansons à double-entendre des grandes interprètes et autrices jazz-blues des années 1940-50. “Après RedisCOVERed et la tournée qui a suivi, le Covid est arrivé, explique Judith Owen. Durant la première année, tout s’est bien passé car j’étais plongée dans le travail, puis je me suis retrouvée au pied du mur et j’ai traversé une énorme dépression. Pour m’en sortir, je devais retrouver le plaisir simple de la musique, et surtout pas exprimer en chansons ce qui me traversait l’esprit à ce moment précis.“ C’est en se tournant vers sa propre enfance et la collection de disques de son père, le chanteur d’opéra Handel Owen, que la singer-songwriter galloise trouvera l’impulsion créative de son treizième album studio. “Mon père était féru de musique classique, mais aussi de jazz et de blues. Entre Puccini, Rachmaninov, Chopin et Beethoven, il avait l’habitude de passer des race records, qui étaient alors très populaires en Angleterre. L’un d’entre eux était “Fine Brown Fame“ de Nellie Lutcher, une incroyable pianiste et une formidable songwriter. Il y avait aussi des disques de Peggy Lee, Ma Rainey, Dinah Shore, Blossom Dearie, Bessie Smith ou Dinah Washington. Des femmes singulières qui, en plus de leur virtuosité, n’avaient pas peur d’être provocantes, drôles et sexy.“

“I didn’t like it the first time, I was so young, you see / I used to run away from the stuff / But now somehow I can’t get enough“, s’extasiait Julia Lee en 1949 dans “The Spinach Song“ dans une chanson vantant — en apparence les vertus vitaminiques du légume préféré de Popeye. Dans “Long John Blues“, Dinah Washington narre avec délectation une vigoureuse opération dentaire (“My cavity just needed fillin’“). Et à quel instrument coulissant la même Dinah Washington pouvait-elle bien faire référence dans “Big Long Slidin’ Thing“ (1954) ? Alliant de luxuriants arrangements pour big band à des récits aux sous-textes parfois furieusement grivois, les 14 titres de Come On & Get It tissent un lien inédit entre les métaphores filées des bluesmen pionniers et les rimes classées X des rappeurs hardcore. Judith Owen : “certaines chansons de Ma Rainey et Bessie Smith sont encore plus directes d’un point de vue sexuel ! D’autres sont davantage basées sur les insinuations et le double-entendre (en français dans le texte, ndr.), et certaines sont très subtiles, à l’image de “Nice Girls Don’t Stay for Breakfast“ de Peggy Lee, jusqu’à sa punchline qui vous laisse complètement abasourdi (rires). Et dans “Blossom’s Blues“, Blossom Dearie chante presque avec la voix fluette d’une bibliothécaire, ce qui décuple la force et le second degré de ses paroles.“

Enregistré aux Esplanade Studios de la Nouvelle-Orléans, la ville de résidence et d’adoption de Judith Owen, Come On & Get It a fait appel à un exceptionnel aréopage de talents locaux, dont le directeur musical David Torkanowsky (Dianne Reeves, Irma Thomas, Allen Toussaint), le trompettiste Kevin Louis (Duke Ellington Orchestra, Preservation Hall), les saxophonistes Charlie Gabriel (Lionel Hampton et Aretha Franklin) et Donald Harrison Jr (Art Blakey and the Jazz Messengers), sans oublier les participations de Jason Marsalis et Nicholas Payton. “La plupart de ces musiciens extraordinaires viennent de La Nouvelle-Orléans. Qu’ajouter de plus ?“, s’enthousiasme Judith Owen, qui de son côté, s’est auto-imposée deux lignes rouges infranchissables : “je ne voulais surtout pas succomber au romantisme, ni tomber dans la vulgarité. Les chansons que j’ai choisies ne se prennent pas au sérieux, elles installent une complicité avec l’auditeur. même si elles n’avaient pas été faites pour le public blanc, qui se serait sans doute évanoui en découvrant le sens de leurs textes ! Ce public était terrorisé par la sexualité, il pensait qu’Elvis Presley pouvait mettre enceinte leurs filles rien qu’en secouant les hanches ! Or, le jazz est une musique joyeuse, sensuelle et directe au fort pouvoir de suggestion. En deux mots, une musique qui vous donne envie de vous envoyer en l’air. Le jazz, c’est du sexe !“.

Judith Owen Come On & Get It (Twanky Records). Disponible. En concert le 26/11 à Montargis (concert du Hot-Club du Gatinais au Théâtre Tivoli), le 06/12 à Lyon (Docks 40) dans le cadre des Docks Live Sessions et à Paris (New Morning) le 8/12.