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Prince : Ultimate Rave, like it’s 1999

PRINCE RAVE Photo

“RAVE un2 the JOy fantastic”, le rarissime “RAVE in2 the JOy fantastic” et le DVD “RAVE un2 the Year 2000” seront à nouveau dans les bacs le 26 avril. Nom de code : “ultimate RAVE”. Visite guidée.

En 1982, touché par une fièvre créative sans précédent, Prince nous invitait a faire la teuf comme si on était en 1999. Évidemment, il ne pouvait pas savoir que l’ultime millésime du XXe siècle serait celui d’une cuvée musicale qui ne restera pas parmi les plus mémorables de son incroyable épopée discographique.
Car en cette fin de siècle, Prince était passé du statut de media darling à celui d’has been à placardiser ; on lui préférait de nouveaux apôtres dont, curieusement, on peine aujourd’hui à se souvenir du nom. En 1999, Prince l’innommable n’allait certes pas tarder à se faire de nouveau appeler par son inoubliable (pré)nom, mais ne faisait plus partie de la ligue des champions de la pop, il était sorti du chant des possible, on ne voulait plus entendre parler de lui.

PRINCE RAVE Un2

Ainsi, à sa sortie, le 9 novembre 1999, “RAVE un2 the JOy fantastic” ne reçut guère d’échos favorables, et fut loin d’être considéré comme un grand cru, aussi bien par la critique que par les admirateurs du petit homme en pyjama lamé bleu déterminé à reconquérir le sommet des charts avec cet album publié par Arista, le label de Clive Davis, qui était en train de battre des records de vente avec “Supernatural”, le nouveau Santana (le guitarero chicano et accessoirement idôle de Prince finira par écouler près de trente millions d’exemplaires de son opus savamment métissé).

Déjà, le premier single, the Greatest ROmance eVer SOld, paru un mois plus tôt, en avait inquiété plus d’un.e. Cette ballade bien moins sensuelle et habitée que ses grandes sœurs, les The Beautiful Ones, Sometimes It Snows In April, Adore et autres Scandalous ne répondit ni aux attentes de Clive Davis, qui rêvait de « number one all over the world », ni, plus grave, à celle du public, le “grand” comme celui des fidèles.
Est-ce parce que cinq ans plus tôt la ballade “algreenesque” The Most Beautiful Girl In The World avait, elle, triomphé « all over the world » que Prince s’évertuait à croire en les vertus de la romance soul ? Hélas, au nombre des singles “pré-albums” enterrés vivants au cimetière des illusions perdues, the Greatest ROmance eVer SOld ne tarda pas à rejoindre Betcha By Golly Wow (une reprise des Stylistics lancée juste avant la sortie d’“Emancipation”, en 1996) et The One (premier extrait de “New Power Soul”, en 1998).

D’après les experts, c’est le crash de the Greatest ROmance eVer SOld qui cloua d’emblée au sol “RAVE un2 the JOy fantastic”, tandis que Santana volait à des hauteurs supernaturelles avec “Supernatural” – il y a quelques années, Vernon Reid, qui connait bien l’insubmersible Carlos, nous avait confié cette histoire : quelques mois après la sortie de “RAVE…”, déjà bien conscient que son album était un échec commercial, Prince, remonté comme un coucou lumineux, avait appelé son héros pour se plaindre sur le mode « M’enfin, pourquoi ton disque a cartonné et pas le mien ?! ». Le guitarero débonnaire lui aurait calmement mais fermement répondu : « Écoute, tu enregistres tes disques tout seul, tu en est le seul producteur, tu supervises le design de pochette, les contrats, la distribution… Fais gaffe, bientôt il n’y aura plus que toi pour les achter… » (Bip, bip, bip…) Reste que vingt ans après, et malgré ses faiblesses, “Rave Un2 The Joy Fantastic” a, comme un bon vin dans son fût de chêne, plutôt bien vieilli.

Au soir du 17 novembre 1999 , sur le plateau de Nulle Part Ailleurs, l’Artist au patronyme symbolique imprononçable interrompit brutalement son interprétation live de the Greatest ROmance eVer SOld comme s’il ne croyait déjà plus lui-même à cette chanson. Sans doute conscient qu’il était temps d’arrêter au jeu dangereux du “ni ouï ni nom”, il lâcha un fort inattendu « I don’t know, I’m feeling like Prince tonight », avant de se mettre à jouer les accords d’Alphabet St. et de faire chavirer de bonheur votre humble serviteur et tou.te.s ses voisin.e.s, instantanément transformé.e.s en pois sauteurs, dont la plupart s’étaient croisés la veille au Bataclan pour assister à l’un de ces légendaires aftershows donnés par The Artist Soon And Once Again Known As Prince (il faudra cependant patienter jusqu’au printemps 2000 avant l’annonce officielle du renaming princier). [On me souffle dans l’oreillette que les afters 1994 et 2002 du Bataclan étaient mille fois plus réussis que celui de 1999 : c’est tout à fait exact. #bataclan4ever]

Tout ça pour vous dire que quelque chose de Prince, « ce tout petit supplément d’homme », pointait à nouveau le bout de ses bottines à talons hauts dans “RAVE un2 the JOy fantastic”. D’abord, l’album était, tiens, tiens, « Produced by Prince », même s’il était évidemment « Composed, performed and arranged by O+> xcept where indicated ».
« Xcept where indicated » ? Voyons ça…
Dans la chanson-titre qui ouvrait les festivités, Prince lui-même s’était crédité à tous les instruments et à la voix. Logique, puisque la conception de RAVE Un2 the JOy fantastic remontait à 1988, époque bénie où l’hyperstyle princier échappait à toute de tentative de catégorisation. Funk ? Rock ? Gospel ? Electro ? C’est quoi ce truc ? C’est quoi ce falsetto déchiré, ce crissement de pneu vocalisé comme au bord du dérapage fatal, de la rupture sans retour ? C’est grand mes ami.e.s, c’est inimaginable aujourd’hui, ce genre de folie pour ouvrir un album – « C’est quoi un album m’sieur ? Heu, je t’expliquerai plus tard petit… »

Chuck D, « rhyme animal » invité sur UNdisputed

Chuck D, « rhyme animal » invité sur UNdisputed

Surtout que dans la foulée, UNdisputed enfonce le clou. On est où là ? Dans une dimension parallèle, le monde selon Prince, le nouveau Prince, celui de l’imminent XXIe siècle ! Mais qui, en 1999, pouvait bien croire à ce rap étrange, un peu bancal, maladroitement avant-gardiste mais somme toute irrésistible ? En prime, tentant de se frayer un chemin à travers cette jungle de beats non conformes, un rhyme animal (je cite le livret) nommé Chuck D, poète urbain révolutionnaire en vacances de Public Enemy. Certes, on aurait bien aimé qu’il participe plus tôt à la saga princière – Chuck D dans Dance On, en 1988, vous imaginez un peu ? –, mais malgré tout, l’entendre poser son flow sur un disque de celui la-même qui, douze ans plus tôt, chambrait les pionniers du rap avait quelque chose de savoureux.

Miles Davis, le maître du silence

Miles Davis, le maître du silence

Les fans de Miles Davis ne manquèrent pas d’apprécier à leur juste valeur symbolique les huit secondes de silence dédiées au trompettiste dans le Segue qui faisait office de quatrième morceau, sous-titré Miles Davis – 199? comme pour signifier que Prince avat déjà oublié ce triste 28 septembre 1991, jour de la mort de Miles.

Au même titre que the Greatest ROmance eVer SOld, le petit manège R&B hoT Wit U tourne à vide. Et inviter la rappeuse Eve (qui ça ?) n’était pas forcément une très bonne idée. Passons. Changement radical d’atmosphère avec la douce et cotonneuse tangerine, qui a très bien passé le cap des ans. Big up à Rhonda Smith pour sa belle partie de contrebasse.
Avec Baby KnOws (quel plaisir de rééentendre Michael Bland !), SO far, So pleased (avec Gwen Stefani de No Doubt en co-lead vox) prouvait à qui voulait encore bien l’entendre que Prince zappait avec aisance entre tous les styles : la pop et le rock accessibles, il savait faire aussi.

On adorait – et on adore toujours – the SUN, The mOON and STars, ne serait-ce que pour son esthétique hors norme, son rythme inventif, son improbable chorus vocal dancehall – ou plus précisément lover –, ses sonorités faussement vintage et ses nappes de cordes créditées au NPG Orchestra, « arranged and conducted » par l’inimitable Clare Fischer.

Le pianiste et arrangeur Clare Fischer, alias The NOG Orchestra dans “RAVE un2 the JOy fantastic”

Le pianiste et arrangeur Clare Fischer, alias The NPG Orchestra dans “RAVE un2 the JOy fantastic”

On adorait aussi – et on adore toujours – everyday is a Winding rOad, reprise certes un peu “facile” et discoïde d’un tube de Sheryl Crow. Pourquoi ? Parce que – surtout dans les deux dernières minutes –, l’esprit de Sly & The Family Stone (via Larry Graham) et du P-Funk de George Clinton s’y téléscopaient avantageusement.

Marvin Gaye et D’Angelo

Marvin Gaye et D’Angelo

Après un bref Segue tout en cordes lustrées du NPG Orchestra déboulait Man‘O’waR, douce folie façon mille-feuilles vocal, quelque part entre le Maître, Marvin Gaye, et le disciple, cité en 1996 par Prince dans Get Yo Groove On – D’Angelo bien sûr, on ne peut rien vous cacher.

I Love U, But I dOn’t trust U anymOre est indéniablement l’un des grands moments de grâce de “RAVE un2 the JOy fantastic”, ballade romantique à couper le souffle servie par une mélodie lumineuse, un falsetto princier, modèle de sensualié androgyne, et une jolie partie de guitare acoustique d’Ani DiFranco, artiste indépendante et rebelle que Prince appréciait beaucoup.

Silly gaMe est un autre moment de grâce, nouvelle ballade romantique sertie elle aussi d’une mélodie mémorable et on ne peut plus chantante digne des Stylistics. Encore une fois, le NPG Orchestra de Clare Fischer Coment ne pas fondre en écoutant Prince chanter « why do we play this, why do we play this, why do we play this silly game… », insister sur le mot this avec une délicatesse et une subtilité digne des grands vocalistes jazz ? Impossible.

Quelques scratches, une boucle électronique, un beat pointilliste, des synthétiseurs en ébullition, Prince en mode mi-parlé mi-chanté, rappeur futuriste dont la voix se démultiplie savamment grâce au re-recording : strange but True, c’était magique et ça l’est toujours. strange but True, c’était Prince, et personne d’autre. Ni pendant, ni après, ni depuis. Shut up already, listen !

Quelle belle conclusion que le rock au ralenti de wherever U go, whatever U do, sa guitare douce et mordante à la fois, ce refrain imparable (échos de Eye Wish U Heaven).
Mais non ! It ain’t over !
Car voilà que planqué au fond du CD déboulait le jamesbrownesque Prettyman, qui commençait par la fameuse saillie « Don’t hate me ’cause I’m beautiful ». Aux côtés de l’excellent The Work Part 1 de 2001 et du fantastique Musicology de 2004, Prettyman s’impose vingt ans après – et pas seulement grâce au solo de Maceo “Can’t you blow” Parker – comme l’un des épisodes majeurs de la trilogie culte mise en sons par Prince, The Eternal Return Of James Brown.

PRINCE RAVE Pochette Ultimate

Si nous venons de passer une bonne heure à réécouter “RAVE un2 the JOy fantastic”, c’est qu’il vient d’être réédité en version “ultimate RAVE”. « Remasterisé, avec un CD entier d’inédits, des liner notes éclairantes et passionnantes ?! » On se calme : non, rien de tout ça bien sûr. En revanche, le digipack quatre volets, format rectangulaire, mat et brillant (attention de ne pas déchirer les deux étiquettes en le décellophanant) est absolument superbe et, cerise(s) sur le gâteau, contient trois disques.

PRINCE RAVE In2

“RAVE un2 the JOy fantastic” donc, mais aussi son pendant réassemblé-refaçonné-remixé “RAVE in2 the JOy fantastic”, que les heureux (?) membres du NPG Music Club avaient le bonheur (?) de recevoir sou pli discret début 2001 et dont le prix, depuis, avait subit une certaine inflation – pas moins de 200 € (frais de ports non compris) en moyenne. Mais si sa valeur marchande risque de baisser dans les prochaines semaines, sa côte d’amour remontera-t-elle ? Il nous souvient qu’on l’avait vite remisé dans nos étagères, par franchement éblouis par les remixes de hoT Wit U (nasty Girl remiX) de Man‘O’waR (remiX) et de UNdisputed (the moneyapolis miX). Mais, au fil du temps, on finit par s’enticher des versions longues de tangerine (magnifique) et de Baby KnOws (encore plus punchy). Et puis bien sûr, il y avait l’hendrixienne beautiful Strange, perle rare parmi les perles rares du C.G.C.P. (le Catalogue Géant de Chansons de Prince). L’un des plus belles partie de guitare princière immortalisées sur CD était là. Et l’est toujours.

Le troisième disque d’“ultimate RAVE” est le DVD publié à l’origine par la bonne maison Eagle Vision, “Rave Un2 the Year 2000”, qui nous avait bien déçu en 2000, et qui ne nous transporte pas plus en 2019. Quand on sait la quantité astronomique de concerts et d’aftershows de folie immortalisés par Prince et son crew, il faut bien avouer qu’on s’ennuie toujours aussi ferme en regardant ce concert du nouvel an filmé à la hussarde le… 18 décembre.
Malgré ses guests– Lenny Kravitz, Morris Day & The Time, George Clinton, guère inspirés –, la musique ne décolle jamais, et la mégateuf du millénaire promise par Prince en 1982 tourne court. « Allô, le Prince Estate ? A quand le blu-ray, le DVD ou même la VOD de … » (Écrire à la place des trois petits points le lieu et la date de votre concert préféré de Prince.)

Détail amusant : dans la nouvelle édition DVD, la petite réclame pour le coffret CD “NewFunk Sampling Series” (700 samples pour 700 $), finalement jamais sorti, a évidemment été surpprimé...

Détail amusant : dans la nouvelle édition DVD, la petite réclame pour le coffret CD “NewFunk Sampling Series” (700 samples pour 700 $), finalement jamais sorti, a évidemment été surpprimé…

Reste que pour à peine 24 €, “ultimate RAVE” vous ramènera vingt ans en arrière et vous fera sans doute réaliser que le Prince de 1999, même réduit à faire son Adam avec Eve, même blessé dans son amour propre (« Clive Davis, tout est de ta faute si les ventes de “RAVE” ont tourné au cauchemar ! »), même tancé par Carlos Santana, même en pyjama bleu lamé, n’a que peu d’équivalent en 2019. « Aucun ! », vient de nous souffler à nouveau dans l’oreillette la vox populi. Qui pour oser la contredire ? •

Coffret CD/DVD “Ultimate Rave” (Legacy Recordings / Sony Music, sortie le 26/4). PS : Les deux “RAVE” sont évidemment disponibles en double 33-tours de la même color purple que les précédentes rééditions vinyles…

Photos de Prince : © Steven Parke (The Prince Estate / NPG Records / Sony Music)

PRINCE RAVE Un2 2LP