Fort de son nouveau CD “Rose Avenue” et avant son concert le 20 novembre sur la Péniche Anako (Paris 19e), le chanteur folk dévoile les albums qui ont changé sa vie.
Avant de parler des disques de sa vie, le chaleureux Joel Rafael, découvrant le Une du n° 720 de Jazz Magazine, nous confie qu’il a vu le trompettiste en première partie de The Band, à l’Hollywood Bowl (Robbie Robertson, le guitariste et compositeur principal de The Band raconte quelques anecdotes à propos de concert dans son autobiographie, Testimony). « Au début des années 1960, j’étais encore à l’école élémentaire, précise-t-il. Mais j’étais déjà batteur, et je voulais faire de la vraie musique. J’ai formé un petit groupe avec des copains. Chaque samedi, on répétait dans le salon de mes parents, principalement de la musique instrumentale. On n’avait pas beaucoup de technique, mais on pouvait interpréter des arrangements de standards très simples. » Sur son radio réveil, le jeune Rafael ne rate jamais le Lucky Lager Dance Time. « C’était un show pas vraiment rock and roll, ils passaient plus des trucs du genre True Love, par Grace Kelly et Bing Crosby. j’adorais cette chanson ! »
Joel Rafael est ce qu’il appelle un «Lace key kid ». Kesako ? « Mes parents travaillaient tous les deux, ce qui n’était pas si courant à cette époque. Donc, quand je rentrais de l’école, il n’y avait personne à la maison. C’est pourquoi on avait une sorte de lacet de chaussure avec une clé, pour pouvoir entrer chez nous ! » Et devinez ce que faisait Rafael quand ses parents n’étaient pas là ? « Je piochais dans leur belle collection de disques, et comme mes parent étaient plus vieux que les parents de mes copains, ils avaient pas mal de jazz, Lena Horne, Benny Goodman, Louis Armstrong, Tommy Dorsey, Pete Fountain. Ella [Fitzgerald] aussi…
Le virus de la musique, Joel Rafael ne l’a pas seulement attrapé en écoutant la radio, mais aussi en regardant la télévision. « Dans The Millon Dollar Movie, ils passaient chaque soir le même film à 19 heures, pendant une semaine ! » C’est donc grâce à cette émission préfigurant les multidiffusions actuelles que Joel Rafel a découvert The Al Jolson Story, avec Larry Parks dans le premier rôle. « Ce film m’ bluffé. Je l’ai regardé chaque soir pendant toute la semaine ! Ce film m’a touché pour toujours, à travers la musique et le chant – la découverte du style vocal d’Al Jolson fut comme une révélation. Quant à l’acteur principal, Larry Parks, il s’est suicidé à cause du maccarthysme : il était blacklisté pour avoir avoué qu’il avait été communiste. Son destin tragique m’a poussé à devenir moi-même un homme engagé, un penseur progressiste – Pete Seeger était blacklisté aussi. Quand on lui demandait de dénoncer ceux qui comme lui avaient participé à des Communist Rallies, il répondait : « Non, je ne vous dirai pas qui était là, mais je serais ravi de vous interpréter les chansons que nous avions tous chanté lors de ces réunions si vous le souhaitez… »
Joel Rafael semble intarrissable, mais l’heure tourne, et il est temps de sortir de sa discothèque imaginaire les 33-tours – bien rééls – qui ont marqué sa vie.
The Band : “The Band”
Il y a quelques merveilles, bien sûr, dans le premier album de The Band, “Music From Big Pink”, mais c’est plus une collection de chansons qui reflétait leur éclectisme et leur polyvalence, créées avec Bob Dylan dans la cave de leur maison de Woodstock – tout le monde connaît l’histoire de ces fameuses “Basement Tapes”… Mais je trouve que leur second album, l’”Album Marron”, était plus homogène, et c’est avant tout pour ça que c’est mon album favori. Pour moi, ils étaient meilleurs que la plupart des musiciens qui se produisaient alors sur scène. Quand avec ma femme nous les avons vu jouer pour la première fois au Pasadena Playhouse, j’étais abasourdi : ils sonnaient aussi bien que sur disque ! Plus tard, quand Rick Danko a eu son propre groupe, il venait parfois à mes concerts – je jouais alors dans des petits bars. Rick était un mec très sympa, très chaleureux. Un jour, j’ai su qu’il cherchait une première partie, alors j’ai branché son manager. J’ai eu le gig ! Rick et ses musicien ont assisté à mon concert, et sur un morceau, ils se sont mis à chanter en harmonie avec moi ! Après le concert, backstage, Rick m’a dit : « Wow, man, tu es vraiment très sérieux ! » Je me demandais ce qu’il voulait dire exactement, mais c’était un compliment ! Je suis resté en contact quelques années avec lui, à chaque fois qu’on se voyait on passait un peu de temps ensemble. J’avais l’impression d’être l’un de ses meilleurs amis, mais beaucoup de gens ressentaient ça auprès de lui, parce qu’il était très généreux.
The Beatles : “Rubber Soul”
Aux Etats-Unis, personne ne connaissait vraiment The Band, c’était un groupe culte. Les Beatles, évidemment, avaient un public bien plus large… J’ai commencé à les aimer l’année où JFK fut assassiné. C’est une photo d’eux qui a d’abord attiré mon attention : leurs cheveux semblaient si longs ! Pourtant, à cette époque je n’avais pas encore une grande passion pour le rock and roll, je trouvais que les musiciens de big bands – ceux qui jouaient sur les disques de mes parents – étaint bien meilleurs… Les Beatles m’ont fait comprendre le rock and roll. I Want To Hold Your Hand, quelle chanson… La première fois que j’ai entendu la fin de refrain, ça m’a scotché, la façon dont ils prononcent, dont ils étirent le mot « Haaaaand ». Puis je les ai vus au Ed Sullivan Show, comme tout le monde. Quand “Rubber Soul” est sorti aux Etats-Unis, ç’a été mon premier album – on l’avait aussi en cassette 8 tracks, pour l’écouter en voiture ! Toutes les chansons, absolument toutes les chansons de ce disque me sidéraient. J’ai toujours préféré John, oui, son côté plus franc, plus engagé. Paul blaguait tout le temps, et John donnait plus l’impression d’être le leader du groupe. Après “Rubber Soul” ? J’aime tous les disques des Beatles ! Ils m’ont ouvert l’esprit au rock.
Judy Collins : “Wildflowers”
Quand j’avais 15/16 ans, ils ont commencé à passer beaucoup de folk à la radio, le Kingston Trio, John Baez ou Peter, Paul & Mary, avec leur reprise de Blowin’ In The Wind. Puis soudain, mes copains avaient tous des guitares ! Du coup moi aussi je voulais chanter en m’accompagnant à la guitare, même si, alors, je chantais en jouant de la batterie, ce qui n’était pas si courant à cette époque… Woodie Guthrie disait : « Le folk ? C’est une musique qui parle des folks [des copains, NDR] et qui est écrite par des folks. » Peu importe le style. Pour Woody Guthrie, le hip-hop aurait été du folk aussi ! Moi aussi j’avais une vision large du folk… Et ce que j’aimais dans le premier disque de Judy Collins, c’est qu’elle chantait du Joni Mitchell ou du Leonard Cohen. J’adorais aussi les arrangements de Joshua Rifkin ; “Wildflowers” est le premier album pop que j’ai beaucoup écouté qui utilisait des cordes pour mettre en valeur le chant et le jeu de guitare. Judy, Joan [Baez] et Joni [Mitchell], “Les 3 J”, étaient mes chanteuses favorites…
Bob Dylan : “John Wesley Harding”
Quand ce disque est sorti, j’étais bien sûr déjà un immense fan de Dylan, de “Blonde On Blonde”, “The Freewheelin’ Bob Dylan”, “Bringing It All Back Home”… Je connaissais tous ces albums par cœur. Dylan est un modèle, plus que nul autre musicien. “John Wesley Harding” était son album du comeback, après son accident de moto. C’était un retour vers l’acoustique, avec instrumentation plus dépouillé. Tiens, ça me rappelle qu’un jour, quand j’étais avec Rick Danko, backstage, quelqu’un a cru que j’étais Bob Dylan ! [Rires.]
Jackson Browne : “Jackson Browne”
Pendant quelques années, on a vécu dans les montagnes ma femme et moi. Un jour, nous sommes allés assister à un concert e Joni Mitchell, qui jouait à Los Angeles, et la première partie était Jackson Browne. C’était en 1972 je crois. [Sa femme, présente lors de l’entretien, confirme la date, NDR.] Dès la fin du concert, nous avons acheté son disque chez Tower Records, qui fermait tard à cette époque. On a l’écouté en boucle pendant des mois… Pour tout vous dire, on a appelé notre fille Jamaica à cause de la première chanson ! [Jamaica Say You Will, NDR.] Nous faisions partie de la contre-culture de cette époque, et Jackson Browne m’a en quelque sorte ouvert la porte, il m’a libéré, il a libéré mon expression, et j’ai pu être moi-même grâce à lui, grâce à ce disque.
Concert Le 20 novembre à Paris (La Péniche Anako, Bassin de la Villette, face au 34 quai de la Loire, Métro Stalingrad ou Jaurès).
CD “Rose Avenue” (Inside Recordings).
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