Sortie en salles le 18 avril de Nico, 1988, biopic sans fard des dernières années de la vie de Christa Päffgen, alias Nico. « Je n’ai pas voulu faire un film cool », confie à Muziq la réalisatrice Susanna Nicchiarelli.
Au cours du premier quart d’heure de Nico, 1988, Christa Päffgen, alias Nico, rembarre un intervieweur radio trop porté sur la nostalgie, engueule ses musiciens en quittant violemment la scène et se tasse un fix d’héroïne dans la cheville dans une salle de bain des faubourgs de Manchester. Entre road-movie, portrait intimiste et cinéma-rock, le troisième long-métrage de la réalisatrice italienne Susanna Nicchiarelli renverse le décor sublimé des années fastes de l’ancienne mannequin, égérie Warholienne et chanteuse temporaire du Velvet Underground.
Basé sur un solide travail d’enquête biographique et brièvement traversé par les super-8 historiques de Jonas Mekas, Nico, 1988 polarise son action entre 1986 et 1988, soit les deux dernières années de la vie de Nico, victime à 49 ans d’une hémorragie cérébrale, quelques heures après une chute de vélo à Ibiza. « La vie de Nico est devenue intéressante lorsqu’elle a cessé de devenir célèbre », explique Susanna Nicchiarelli. « Elle a commencé à écrire sa propre musique en 1968, puis elle est revenue en Europe pour mener une carrière solo et s’occuper de son fils Ari. Ce parcours m’a permis d’envisager un biopic différent d’un point de vue structurel, sans les clichés du succès et de la rédemption. Nico, 1988 raconte avant tout l’histoire d’une femme qui n’est plus une icône, l’histoire d’une libération. »
Dans le rôle-titre, Trine Dyrholm délivre une extraordinaire performance à la fois artistique, musicale et physique. Participante récurrente des films de Thomas Vinterberg (Festen, La communauté), la sculpturale actrice danoise n’a pas hésité à se métamorphoser en quadragénaire usée et en surpoids, accro à la junk-food et au limoncello, dans une transformation métabolique digne de Raging Bull. Également chanteuse (et finaliste de l’Eurovision à 14 ans !), Trine Dyrholm, accompagnée des prog-rockeurs transalpins Gatto Ciliegia contro il Grande Freddo, interprète l’intégralité de la bande-son d’un long-métrage transfiguré par ses intenses séquences live, d’une reprise distanciée du « All Tomorrow’s Parties » du Velvet Underground au climax libérateur de « My Heart is Empty », capturée avec une énergie folle lors d’un concert clandestin dans le Prague de la répression communiste. « Chaque chanson définit un moment-clé du film », précise Susanna Nicchiarelli. « Par exemple, la scène du concert de Prague correspond à la libération de Nico, qui décide d’arrêter l’héroïne à ce moment-là. »
« Au cinéma, l’image des rockeurs est toujours cool, alors que la vie d’un groupe qui galère en tournée est tout sauf cool », poursuit Susanna Nicchiarelli. « Je voulais filmer la réalité d’un groupe de seconde zone qui participe à des concerts mal organisés à travers l’Europe avec toutes les situations comiques, mais aussi parfois dramatiques, qui peuvent en découler. » Dans Nico, 1988, le fond épouse aussi la forme par l’intermédiaire d’un format carré correspondant aux canons audiovisuels de l’époque. « Avec la chef-opératrice Crystel Fournier, nous avons voulu recréer l’image carrée des VHS et leur mauvaise qualité », précise Susanna Nicchiarelli. « Le 4/3 n’est jamais beau, jamais décoratif, mais il oblige le spectateur à rester concentré sur le personnage principal. »
Le souci du réalisme se prolonge jusque dans des seconds rôles fouillés, avec la participation débonnaire de John Gordon Sinclair, inspirée du personnage réel du manager souffre-douleur Alan Wise, et de Sandor Funtek, qui endosse le rôle hyper-sensible d’Ari, le fils qu’Alain Delon n’a jamais voulu reconnaître. À l’instar des divers chaperons masculins de la carrière de Nico -John Cale, Lou Reed, Philippe Garrel…-, le nom de l’acteur du Samouraï n’est pas prononcé à l’écran. « C’est volontaire », explique la réalisatrice. « On cite tout le temps le nom de ces hommes en évoquant la carrière de Nico. Dans le film, le seul d’entre eux qui est cité est celui de Jim Morrison, car c’est lui qui a été le premier à la pousser à écrire ses propres chansons en s’inspirant de ses rêves. » Par un curieux hasard du destin, Nico achèvera son ultime concert à Berlin en juin 1988 par les accords sépulcraux du « The End » des Doors. Trente ans plus tard, la quête du son de la défaite de Christa Päffgen est récompensée par un des grands films rock de la décennie.
Nico, 1988 de Susanna Nicchiarelli. En salles le 18 avril (distribution Kinovista).
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