Dans les marges de l’industrie mainstream, Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog ont trouvé assez de génies dédaignés pour élever une fastueuse statue à l’Underground.
Romancier, scénariste de bande dessinée (Le Chanteur sans nom ; J’aurai ta peau Dominique A ; Mondo Reverso …), musicien, compositeur et auteur de chansons, à la proue de L’Orchestre Préhistorique ou sur le pont de Monstre (au côté de Jimmy Carl Black), fondateur du Festival Invisible et du label L’Église de la Petite Folie (qui vient de publier l’éblouissant “Cinéma” du multi-instrumentiste et talentueux John Trap), le brestois Arnaud Le Gouëfflec, par ailleurs historiographe des œuvres d’Eugene Chadbourne, navigue en bathyscaphe dans les eaux profondes des musiques inclassables.
À ce titre, son dernier ouvrage réalisé avec Nicolas Moog (dessinateur au trait sûr et vibrant), Underground, Rockers maudits & Grandes prêtresses du son, s’apparente à un trophée sorti des abysses. Plus exactement à une médaille d’orichalque (le matériau dont regorgerait l’Atlantide) mais qui ne révèlerait que son revers. L’avers étant le blason du mainstream, Arnaud Le Gouëfflec se soucie de montrer la valeur rare, précieuse en somme, de celle qui signale la beauté des musiques souterraines. Souterraines parce qu’écrasées sous la botte de l’industrie phonographique. À moins que les artistes du sous-sol se soient intentionnellement protégés de la lumière, de ses projecteurs, évitant ainsi les malentendus de la gloire.
C’est son choix, une collection de personnalités tenues en marge, avec un soin qui appartient au culte de l’ignorance, voire du mépris. La marge étant le pourtour d’une page où s’écrit l’histoire vive et bouillonnante, non rabotée. C’est là que l’on trouve le jaillissement de l’idée, la fraîcheur des élans, l’innocence brute, l’instinct nomade. Très mauvais pour le commerce des marchandises standardisées. Très bon pour les oreilles en quête d’accents inouïs, de mots désobligeants, de style démuselé.
On relève ci et là des noms qui n’ont pas totalement succombé à l’amnésie globale (Captain Beefheart, Brigitte Fontaine, Nico, Patti Smith, Boris Vian) mais si nombreux sont les prodiges de l’ombre qu’il convient de découvrir toutes affaires cessantes les portraits en noir et blanc, archidocumentés, de Daniel Johnston, Sun Ra, Raymond Scott, Lydia Lunch, Tall Dwarfs, Un Drame Musical Instantané, Peter Ivers, Éliane Radigue… Ils et elles totalisent cinquante parcours, cinquante récits serrés, nerveux, vitaminiques. Remonter à la surface la séditieuse et volontairement irrécupérable Colette Magny, notre grande chanteuse de blues hexagonale, est l’un des mérites de ce livre-sonde.
Joyau offert à nos yeux éberlués, Underground est la véritable contre-histoire des musiques errantes. Une bande dessinée d’intérêt général.
BD Underground, Rockers maudits & Grandes prêtresses du son, par Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog. Éditions Glénat, 311 pages, 30€.
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