“Play Me Out”, le premier album solo de l’ex-chanteur et bassite de Deep Purple, vient d’être réédité sur Purple Records. Retour sur sa génèse so seventies avec, en guest stars, Stevie Wonder et David Bowie.
Où l’on commence notre histoire par Nancy Gray, l’une des trois chansons composées par Glenn Hughes pour le premier 33-tours éponyme de Trapeze, paru en 1970 et lancé par le DJ Dave Symonds, qui l’avait diffusé en exclusivité et dans son intégralité – privilège seulement accordé aux Beatles… – sur les ondes de la BBC Radio 1. Les auditeurs d’alors avaient-ils remarqué que dans Nancy Gray, le chanteur du groupe faisait de son mieux pour imiter David Bowie ? (Glenn Hughes n’avait que dix-neuf ans, un âge où l’on n’a pas forcément encore bien digéré toutes ses influences…) Quoi qu’il en soit, le premier album de Trapeze passa complètement inaperçu. Dans la foulée, le groupe laissa sur le bord de la route deux de ses membres, le trompettiste John Jones et l’organiste Terry Rowley (que l’on retrouvera sur “Play Me Out”) et devint un power trio aux orientations plus heavy, cependant soulignées par les infuences soul de son chanteur et bassiste devenu de facto leader. “Medusa” (1970), et plus encore le remarquable “You Are The Music… We’re Just The Band” (1972), qui contient la première version de la signature song de Glenn Hughes, Coast To Coast, installèrent Trapeze parmi les groupes prometteurs de la Terre des Angles.
PURPLE RÈGNE
Avance rapide. 1974 : Ritchie Blackmore, déterminé à donner une orientation plus bluesy à Deep Purple suite au départ – un rien forcé – de Ian Gillan et de Roger Glover, se met en quête d’un nouveau chanteur. Après avoir assisté à un concert de Trapeze avec Ian Paice et Jon Lord, qui partagent son enthousiasme, il propose le gig à Glenn Hughes. Devenir le lead singer de Deep Purple, l’un des groupes les plus successful d’alors ? Ça ne se refuse pas ! Sauf que Glenn Hughes ne sera en réalité “que” le second chanteur de Deep Purple, puisque Blackmore & C° ont également embauché un certain David Coverdale…
On connaît la suite : “Burn” en 1974, “Stormbringer” la même année, les deux minots qui poussent des coudes les (jeunes) anciens, Hughes qui fait de son mieux pour imposer ses passions soul (notamment pendant les séances de “Stormbringer”), au grand dam de Ritchie Blackmore qui, exaspéré, finit par quitter Deep Purple pour former Rainbow. Mais Deep Purple continue sans lui. Tommy Bolin, connu entre autres pour sa participation au cultissime “Spectrum” de Billy Cobham (1973), remplace l’Homme en Noir qui n’aime pas toutes les musiques noires (le blues, ok, mais la soul, non merci). “Come Taste The Band” (1976) fait grincer des dents les fans de Blackmore mais gagne rapidement ses galons d’album culte, grâce à son groove contagieux, les soli de Bolin, ses pépites hard-funk (Gettin’ Tighter, You Need Love…) et l’inoubliable This Time Around de Glenn Hughes – « Hey Stevie, écoute ça, on dirait que c’est toi ! »
ENTRE DAVID ET STEVIE
David Bowie, le retour. Lors des séances de“Stormbringer”, le (futur) Thin White Duke passe dire un petit « hello » à son nouveau pote Glenn Hughes, dont il chante les louanges à qui veut bien l’entendre. Il vient de publier son opus soul à lui, “Young Americans”, qui préfigure en quelque sorte “Play Me Out”. Et tandis que Glenn Hughes enregistre en mode lead singer le très funky Hold On, Bowie est à ses côtés… en train de danser ! On imagine la tête de Blackmore… Glenn Hughes est au paradis, car c’est également pendant l’enregistrement de “Stormbringer” qu’il fait la connaissance de Stevie Wonder, rencontré… dans les toilettes du Record Plant ! [Le génie soul était aussi en train de travailler dans ce fameux studio de Los Angeles, d’où cette rencontre pendant une pause-pipi, NDR.] Excité comme une puce, il propose à son idole de lui faire écouter You Can’t Do It Right, de loin la plus “steviewonderienne” des chansons de “Stormbringer”. L’idole sourit – « Hey man, j’ai comme l’impression que tu as effectivement bien écouté mes disques ! » –, le félicite et l’encourage à continuer de chanter dans cette veine. Et hop, après Bowie, un fan prestigieux de plus !
ENTRE VICKY ET TOMMY
Fin 1976, suite au décès brutal de Tommy Bolin (saleté de drogues), Deep Purple se sépare. [Pour renaître de ses cendres huit ans plus tard et, aujourd’hui encore, incarner la force tranquille du hard-rock made in England, lire ici.] Glenn Hughes se lance illico dans une carrière solo, non sans d’abord donner quelques concerts avec son précédent groupe, Trapeze. C’est pourquoi on retrouve le guitariste Mel Galley (futur membre de Whitesnake), le batteur Dave Holland (futur membre de Judas Priest) et le même le pianiste Terry Rowley (lire plus haut) sur “Play Me Out”, dont les neuf chansons sont enregistrées en à peine plus de dix jours à Londres, entre les studios Island et le Air Studio de George Martin – seuls les cuivres et les cordes seront enregistrées plus tard.
Outre les membres de Trapeze, on y retrouve quelques pointures des studios londoniens, tels le trompettiste Henry Lowther, le percussoniste Mark Nauseef (futur batteur du Ian Gillan Band et, lucky boy, petit ami de Britt Ekland…), les chanteuses Liza Strike et Helen Chappelle, mais aussi le guitariste canadien Pat Travers. Herbie Hancock et David Sanborn avaient donné leur accord, mais, in fine, ne participèrent pas au disque. Idem pour David Bowie, qui avait proposé ses services en tant que producteur…
Glenn Hughes ne l’a jamais caché : “Play Me Out” a été enregistré à une époque où son nez suivait très, très souvent à la trace des fines lignes de poudre blanche… La cocaïne était son héroïne, et c’est d’ailleurs à cause de son comportement erratique de drug addict que sa compagne Vicky l’avait plaqué pour Jon Lord. C’est donc un chien fou de vingt-six ans en proie à ses démons et ravagé par la perte des siens (le départ de sa fiancée, la mort de son ami Tommy Bolin, auquel “Play Me Out” est dédié) qui grave à la hussarde et quasiment sans dormir la majeure partie de “Play Me Out”… Et l’on devine bien la présence, ou plutôt l’absence de son ex à travers plusieurs chansons : l’émouvante It’s About Time et la groovyssime Space High, marquée par les vocalises singulières et étourdissantes de Liza Strike.
LA SOULUTION MIRACLE
Mais “Play Me Out” reste avant tout marqué par l’influence de Stevie Wonder (écoutez Your Love Is Like A Fire) et, à un degré moindre, celle du Bowie de “Young Americans” (I Got It Covered). Voilà sans doute pourquoi il n’avait, comme on dit, pas trouvé son public lors de sa sortie en 1977, la majeure partie des fans de Deep Purple n’étant certainement pas disposée à apprécier un tel disque. De plus, 1977 est l’année où la vague punk engloutissait (presque) tout sur son passage : les rock critics britons avaient d’autres young cats à fouetter que cet ex d’un groupe de hard-rock dinosaure qui se la jouait soulman.
Reste qu’au fil du temps, “Play Me Out” finit par gagner ses galons de disque culte. D’abord parce qu’il fut rapidement difficile à trouver, et que chaque nouvelle réédition devenait quasi instantanément collector – il suffit de regarder le prix qu’atteignent les précédentes éditions CD de “Play Me Out” sur la toile, sans parler du 33-tours original… La nouvelle réédition Purple Records / Cherry Red est la plus satisfaisante à ce jour. Elle comporte évidemment l’album dans son intégralité, les cinq bonus tracks déjà ajoutés à la précédente édition digipack de 2010 (le 45-tours jamais sorti Smile, deux inédits de 1978, deux autres de 1994, tous soul-funky à souhait, quoiqu’inachevés) et, pour le fun, “Four On The Floor”, le rarissime EP disco de 1979 enregistré incognito par Glenn Hughes avec Jeff Baxter à la guitare, Al Kooper aux synthétiseurs, Neil Stubenhaus à la basse, Rick Schlosser à la batterie, Paulinho Da Costa aux percussions… Kitsch à souhait, mais il faut écouter au moins une fois sa reprise de Gypsy Woman de Curtis Mayfield et le Glimmer Twins Medley (Let’s Spend The Night Together, Lady Jane, Paint It Black, Under My Thumb) Pour payer son loyer, notre Wonderboy s’était discrètement mué Discoboy…
On nous permettra cependant de plutôt écouter en boucle les neuf perles soul-funk-rock du “Play Me Out” original, qui nous accompagnent depuis des lustres (soit dit en passant, bien peu de représentants de la nu soul nous ont offert quelque chose d’aussi funky que L.A. Cut Off et Soulution), et qui forment avec l’autre opus culte de Glenn Hughes, le génial “Hughes & Thrall”, un insécable diptyque musical. Respect à Mister Hughes donc, qui chante, compose, arrange, joue de la basse, de la guitare, du Fender Rhodes et du Mini Moog. Tiens, ce côté multi-instrumentise, ça nous rappelle encore une fois un certain Stevie… •
CD “Play Me Out” (2 CD Purple Records). Livret de 14 pages, liner notes de Malcolm Dome.
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