Avant la sortie très attendue de la réédition “Super Deluxe” du chef-d’œuvre de Prince, “Sign O’ The Times”, sorti en 1987, Doc Sillon a écouté avec lui les quarante-cinq inédits studio qui y figurent.
Salut Prince. Oui, c’est encore moi. Fred Goaty ? Non, il n’est pas là. Mais il m’a chargé de venir vers toi pour qu’on écoute un peu de musique ensemble, si tu veux bien. Oui, on sait, on sait, c’est de plus en plus curieux cette manie de s’adresser à toi comme s’il ne s’était rien passé de spécial le 21 avril 2016… D’écrire comme si on était en train de te parler… Vois-tu, on trouve ça plus direct, plus spontané, on livre à qui veut bien les “lirentendre” nos modestes impressions, notre ressenti comme on dit aujourd’hui (sans trop en dire non plus, car rien ne vaut le plaisir de la découverte).
Nos premières impressions de quoi, dis-tu ? Ton Urself Estate™ ne t’a pas informé qu’un an après “1999”, “Sign O’ The Times” sortait à son tour en (ré)édition “Super Deluxe”. Quand ? Le 25 septembre voyons ! Mais on peut en parler dès maintenant puisque l’embargo est levé depuis quelques secondes – hé oui mon Prince, nous avons le privilège de pouvoir écouter bien avant leur sortie officielle tes nouveautés phonographiques en streaming (via un lien privé envoyé par une fée qui a ses entrées dans ta maison de disques), mais on doit rester sage jusqu’à une date et une heure très précises, dictées par les hautes instances ; sinon, on nous retire immédiatement la carte de presse, et des mecs en veste bleu marine à écusson viennent dans l’heure nous reprendre tous les services de presse envoyés par Warner Bros. depuis 1978 – hmm, o.k., j’exagère un peu…
L’an dernier, Fred, qui te suit depuis plus longtemps que moi encore (pas du genre à faire croire qu’il était au Palace en 1981, mais presque) s’était lancé dans une cybersaga un peu zinzin : donner chaque jour sur ce site ses impressions à chaud sur les inédits studio du coffret “Super Deluxe” de “1999”. Il n’y en avait “que” vingt-quatre à décortiquer, mais il a failli y laisser sa peau. (Je l’avais remplacé une ou deux fois, je crois, quand il était au bord du burn out.) Et quand on le relit aujourd’hui, on se demande bien ce qu’il avait fumé. Alors qu’il ne fume pas.
Le coffret “Super Deluxe” de “Sign O’ The Times” contient lui quarante-cinq inédits studio. C’est excitant. Pas raisonnable. Délirant. Dingue. À ton image quoi. Oui, je sais, ce n’est pas toi qui a décidé d’ajouter autant de bonus tracks à ton monumental double-album, mais c’est bien toi qui les a enregistrés n’est-ce pas ? Voilà où ça mène de produire autant, pour tout planquer, ou presque, dans tes archives : maintenant que d’autres que toi ont la combinaison du coffre, ils n’hésitent pas – qui s’en plaindra ? – à rendre enfin accessible tous les joyaux de ta couronne. Et s’ils ne brillent pas tous du même éclat, chacun sait qu’ils sont nombreux. Très nombreux. Incroyablement nombreux.
Quarante-cinq inédits donc. Bon, si on pinaille un peu, il n’y a qu’une quinzaine de titres que le club des insatiable hardcore fanatics découvrira réellement – et encore, comme tu le sais mon cher Prince, je suis, comme Fred, un rien old school moi aussi, je ne passe pas mes jours et mes nuits à traquer l’inédit sur le dark web, ni même sur YouTube. Les titres que je connais déjà, je les ai découverts pour la plupart sur des bons vieux pirates des années 1990-2010, ces triple et ces quadruple CD super deluxe, comment dire, underground : “Fantasia”, “Cosmos”, “The Work” et autres “Blast From The Past” – je te vois faire les gros yeux, mais ne fais pas comme si tu ne savais rien, s’il te plaît.
Ainsi, le club des insatiable hardcore fanatics – dont je suis membre honoraire – a sans doute déjà appris par cœur tout le contenu du “Super Deluxe” via des voies que le seigneur réprouve ; mais ça ne les empêchera évidemment pas de s’offrir ce somptueux objet du désir-disque dès le 25 septembre (heureusement qu’ils sont toujours là, tes insatiable hardcore fanatics). Tandis que les moins passionné.e.s/moins fortuné.e.s (re)découvriront, j’espère bien, cette merveille absolue qu’est “Sign O’ The Times”, qu’aucun tsunami de bonus tracks ne réussira à remiser dans une case-mémoire poussiéreuse de nos petits cerveaux Car c’est bien le double-album original qui est forever in our lives, c’est bien le fruit de ta vision artistique qui nous a estomaqués au printemps 1987. Comme “Kind Of Blue” de Miles Davis, “What’s Going On” de Marvin Gaye, “Innervisions” de Stevie Wonder, “One Size Fits All” de Frank Zappa, “A Love Supreme” de John Coltrane, “Physical Grafitti” de Led Zeppelin ou “Aja” de Steely Dan (liste non-exhaustive), “Sign O’ The Times” fait partie des albums dont on ne se lassera JAMAIS. “Sign O’ The Times” a merveilleusement bien vieilli. “Sign O’ The Times” est intemporel. “Sign O’ The Times”, je n’apprends rien à personne, est ton triomphe. Enfin remasterisé.
Bref, contrairement à Fred, pas question de me lancer dans une saga quotidienne pour donner un max’ de détails sur chacune des chansons (ou des instrumentaux) figurant dans les trois CD “Vault I, II & III”. (Et puis je n’ai pas envie de recevoir moult messages privés sur Facebook pour qu’on essayer de me soutirer mes liens streaming, mes CD promos (hey, on n’est plus en 1996 !), ma chemise, mon numéro de carte bleue… Ça me fatigue d’avance !) En revanche, si tu es d’accord mon Prince – tu t’en fous ? o.k. –, je vais tout de même lever quelques coins de voile sur cette nouvelle folie phonographique, ces quarante-cinq inédits issus de cette inépuisable source de bonheur : ton Vault – tiens, je viens de penser à un nouveau surnom pour toi, “Monsieur 100 000 Vault”.
En paroles donc, mais sans musique : la musique, tes chansons, tes experiences comme tu disais naguère, seul toi et moi serons en mesure de les entendre.
Promis, j’essaierai d’être concis, de teaser en douceur, de ne pas trop faire le malin.
C’est pas gagné.
[ATTENTION SPOILERS]
I Could Never Take The Place Of Your Man (1979 Version)
Rien à teaser pour commencer, puisque ce touchant inédit late seventies a été dévoilé officiellement il y a déjà plusieurs semaines. Chacun peut donc se faire sa propre idée. Je me permettrais juste d’ajouter qu’interprétée de cette manière, cette version d’I Could Never Take The Place Of Your Man balance, vu son millésime, entre l’esthétique de ton second album éponyme, “Prince”, et ton sulfureux “Dirty Mind” – réenregistrée un peu plus “sèchement”, avec, comment dire, un mordant plus prononcé, elle y aurait d’ailleurs parfaitement trouvé sa place, plus que dans “Prince” je trouve. Cela dit, sa place est bien dans “Sign O’ The Times”, et nulle part ailleurs.
Teacher Teacher (1985 Version)
Clavecin. Touche baroque. Pop music. Culture mélodique. Et revoici donc Wendy, Lisa, etc. : le son “révolutionnaire” dans toute sa splendeur. Car tu avais beau avoir créé le chaos autour de toi en congédiant The Revolution sur un coup de tête – seul le bon Dr. Fink et Eric Leeds échappèrent à ton couperet –, cette version “Super Deluxe” de “Sign O’ The Times” les réintègre dans ton univers post-révolutionnaire. Teacher Teacher, on l’aurait plutôt imaginée dans la “Super Deluxe” d’“Around The World In A Day”, ou de “Parade”, mais peut-être que les premiers projets de track listings dépassent déjà l’entendement…
All My Dreams
Au même titre que Purple Music, All My Dreams est un authentique morceau culte, un divin secret (pas si) bien gardé, une merveille baroque qui relie l’univers des Beatles et de Sly & The Family Stone. Mais pourquoi, POURQUOI ne l’as-tu jamais sortie officiellement celle-là ? Ce n’est pas une chanson, c’est une bouffée d’amour, du bonheur en barre, un bouquet sonore aux mille et un parfums. Tout va bien : le monde entier va enfin pouvoir découvrir All My Dreams, tous tes rêves qui sont aussi les nôtres. (Et ce monde, surtout en ce moment, ne s’en portera pas plus mal.) Fred ne pourra plus faire l’intéressant dans ses conférences ou à la radio, mais crois-moi, mon Prince, tu ne mesures pas la joie que procure l’écoute officielle – quel son ! – d’All My Dreams, que j’avais personnellement découverte en 1988 dans le vinyle pirate “Charade”, acheté à prix d’or dans une record fair à Londres.
Can I Play With U ? (Featuring Miles Davis)
Visiblement, ton Urself Estate™ a désormais de bons rapports avec le Miles Davis Estate™. Pas trop tôt ! (À ce sujet, est-ce qu’il n’y aurait pas par hasard d’autres bandes avec Miles et toi dans… O.k., o.k., j’ai rien dit.) De Can I Play With U ?, plusieurs versions circulaient depuis plus de trente ans. Voici donc pour la première fois la version officielle de la chanson que tu avais écrite pour “Miles D.” (c’est ainsi que tu le nommes dans les special thanks de “Sign O’ The Times”). À la dernière minute, tu avais demandé au trompettiste de l’enlever de “Tutu” où, effectivement, elle n’avait pas grand-chose à faire. Plus le temps passe, plus j’aime Can I Play With U ?. Mais quitte à écouter le Prince of Darkness souffler sur une de tes chansons, je préfère Sticky Wicked de Chaka Khan. Cela dit, cette version fourmille de petits détails que, me semble-t-il, je n’avais jamais entendus.
It’s A Wonderful Day (Original Version)
Tu chantes merveilleusement bien là… Et je n’en dirais pas plus. Ah ah ! Tu croyais que j’étais parti à mon tour pour une “phonauscultation” obsessionnelle de chaque inédit ? Eye told u my Prince : je suis plus raisonnable que Fred. Enfin j’espère.
Strange Relationship (Original Version)
Original Version ? Ah bon… Cela signifierait donc que celle qui figure dans “Sign O’ The Times” n’est pas précisément celle que tu voulais mettre, mais plutôt celle-là ? (Les vrais experts de ta chose musicale mèneront l’enquête.) Quoi qu’il en soit, entre 3’50” et 5’42”, il faut que les gens s’attendent à basculer dans ta twilight purple zone et à en voir de toutes les couleurs, comme au temps béni de tes grands remixes faits maison. Des son(orité)s pareil.le.s, il n’y en avait que dans ta galaxie, mon Prince. Et c’est ça qui était fantastique.
Visions
Magnifique improvisation ravelo-debussyste de Lisa Coleman au piano, qui devait être l’ouverture de l’ultime album de Prince & The Revolution, “Dream Factory”. Comme tu le sais forcément, Lisa a fini par la sortir – avec ou sans ton consentement ? j’aimerais bien le savoir… – dans la première version collector d’“Eroica”, sur un mini-CD bonus, en 1990, sous le titre de Minneapolis #1. (Elle figure aussi dans la “Special Edition” d’“Eroica” publiée par Cherry Pop en 2017.) Visions risque d’être un peu noyée, ici, dans la profusion d’inédits. Tiens, j’y pense, si sur le modèle des albums “qui auraient dû exister” parus ces dernières années (Jimi Hendrix, The Beach Boys, etc.), ton Urself Estate™ se décidait un jour à sortir “The Dream Factory”, “Camille” ou d’autres projets tués dans l’œuf ? “The Dream Factory” , avec une belle pochette, un live en prime et des liner notes rédigées par tous les membres de The Revolution, ça aurait de l’allure… « I say this, I say nothin’ », comme on dit chez nous.
The Ballad Of Dorothy Parker (With Horns)
Je dois t’avouer que de prime abord, mon Prince, j’ai comme qui dirait Tyka, pardon, tiqué : The Ballad Of Dorothy Parker est sacrée, elle fait partie de notre ADN. Nous n’avions donc que faire – je parle au nom de Fred aussi –, d’emblée, de cette version With Horns (un arrangement écrit par Eric Leeds que tu aurais enlevé à la dernière minute, un peu comme les strings de Clare Fischer dans I Wonder U), parce que c’est justement le côté minimaliste, façon maquette, de ce concentré d’art brut et sensuel qui nous fascine depuis trente-trois ans. Et puis, au bout de trente-six écoutes, j’ai fini par voir le même nombre de chandelles, qui ont jeté une lumière différente sur cette Dorothy qu’on aime d’amour. Et il faut bien avouer qu’Eric Leeds avait fait un beau boulot. Entendre des horns dès les premières mesures – entre 3’30 et 4’33”, ces deux notes comme mises en boucle, ça me plaît beaucoup –, ça fait un drôle d’effet au début, mais on s’y fait, et redécouvrir Dorothy ainsi parée, plus “jazz”, est, in fine, assez passionnant. Mais encore une fois, rien dans nos petits cœurs ne remplacera la V.O.
Witness For The Prosecution (Version 1)
Au même titre qu’I Could Never Take The Place Of Your Man (1979 Version), Witness For The Prosecution (Version 1) fait partie des chansons déjà mises en ligne officiellement sur ces plateformes de streaming que, de ton vivant, tu boycottais (sauf Tidal). Les ami.e.s de muziq.fr savent déjà tout.
Power Fantastic (Live in Studio)
Oui, c’est quasiment la même version que celle de “The Hits / The B-Sides”. Quasiment… Mais il manquait jusque-là les deux premières minutes. Et j’en connais, mon Prince, qui vont verser la larmichette en t’écoutant donner, en prélude, tes instructions à The Revolution, avec cette voix grave, douce, posée, sensuelle et autoritaire à la fois ; avec ce phrasé incroyablement mélodique – oui, même quand tu parles. Quant à l’intro, on se croirait presque en train d’écouter un 33-tours paru en 1974 sur Strata East, ou quelque chose comme ça – bon, o.k., cette intro a été piratée depuis vingt ans déjà, mais qu’importe : c’est beau.
And That Says What
Et ça dit quoi ? Ben, ça dit jazz foufou, joyeux délire de mise en place, thème beboppisant, Eric Leeds en feu, breaks vertigineux. C’est toi à la batterie ? C’est dingue…
Love And Sex
Funk-rock Chamallow un peu pompeux, du 2 much princier comme on l’aime. Si tu l’avais sortie à l’époque, je suis sûr que tu l’aurais mise sur une face b. Le dernier accord avant les « Love and sex, sex, sex, sex… », c’est ma came. Et le refrain – « Looooove and sex, an emotional merry-go-round… » – me trotte sérieusement dans la tête.
A Pleace In Heaven
Ta voix de cristal. Non, tes voix de cristal. Effet choral. Plafond de verre aux reflets moirés. Sidérant. Plus une boîte à rythme volontairement simpliste, un piano, un clavecin, et cette petite mélodie en ouverture et en conclusion : bijou. Celle-là aussi on la connaissait depuis des lustres, alors on est heureux que nos ami.e.s puissent enfin l’apprendre par cœur. On pourra la chanter tous ensemble.
Colors
C‘est toi à la guitare ? Non ? C’est Wendy ? Ok. Je me disais aussi…
Crystal Ball (7” Mix)
Mon Prince, tu peux dire à ton Urself Estate™ qu’on a déjà la version cinémascope de cette merveille ? Du coup, on ne sait que faire de ce 7” Mix.
Big Tall Wall (Version 1)
Big Tall Wall… Big Tall Wall… Big Tall Wall… Big Tall Wall… Big Tall Wall… Big Tall Wall… Big Tall Wall… Big Tall Wall… C’est fou le nombre de fois où tu répètes ces trois mots… Mais moins qu’un mantra anti-Trump – en 1987, tu ne pouvais pas savoir – Big Tall Wall est surtout une chanson à combustion lente, pas si séduisante que ça au début, mais qui finit par trouver son chemin dans nos neurones. Mais qu’ils sont troublants ces tablas et ce sitar : on est dans “Sign O’ The Times” ou “Around The World In A Day” ?! J’y entends l’influence de Wendy et Lisa, mais en disant ça, mon Prince, je mésestime sans doute les tiennes, d’influences. Je mésestime ta grande culture musicale que, par pudeur sans doute, tu préservais des jugements hâtifs.
Nevaeh Ni Ecalp
Place In Heaven à l’envers, par Lisa. Pas renversant pour autant. Si je ne m’abuse, tu en avais utilisé une partie pour l’intro de la chanson Dream Factory, mais pas celle du triple CD “Crystal Ball” (que tes amis de Sony Music seraient bien avisés de rééditer).
In A Large Room With No Light
Quelle ne fut pas notre surprise quand tu jouas In A Large Room With No Light au Montreux Jazz Festival 2009, lors du premier de tes deux fabuleux concerts, qui ne sont d’ailleurs toujours pas sortis officiellement (qu’est-ce qu’il fiche ton Urself Estate™, ils ont perdu le numéro d’Eagle Vision ? Je l’ai si tu veux). Pour ne rien te cacher, la première fois que j’ai entendu cette merveille jazz-pop, c’était à l’époque où on se repassait en loucedé des cassettes sous le manteau. C‘est dire que ça date. Comme All My Dreams, In A Large Room With No Light (parfois nommée Welcome 2 The Rat Race par les bootleggers) commença à me faire sérieusement prendre conscience de l’incroyable richesse de ce qu’on n’appelait pas encore ton “vault”, mais qui nous faisait déjà méchamment fantasmer. Qu’une chanson d’une telle qualité ne se soit pas retrouvée dans un de tes albums m’avait laissé pantois d’admiration et joyeusement perplexe : « Si ça ce trouve, avais-je dû grosso modo penser, Prince est vraiment le Duke Ellington – ou le Frank Zappa – de son époque. J’ai l’impression qu’on est parti pour un grand voyage avec lui… » Sinon, cette version est exactement la même que celle qui circule depuis belle lulu. Tant mieux.
Train
Je ne sais pas si tu le sais – si, tu le sais –, mais il y a une vingtaine d’années le “label” Thunderball avait sorti “Dream Factory” en double CD. Oui oui, la configuration finale – avant qu’il ne soit remisé au rang de tes lost albums – de cet opus littralement légendaire de The Revolution ! Avec Train, donc, mais aussi Witness For The Prosecution, All My Dreams… Et treize outtakes en prime, dont sept que l’on retrouve dans le coffret “Super Deluxe” de “Sign O’ The Times” ! Ah ah ah ! Quelle époque ! Je te raconte ça mon Prince – en toute discrétion hein… – parce que Train, que Mavis Staples finira par réenregistrer dans “Time Waits For No One” (superbe opus supervisé par tes super soins), était, et est toujours l’un de mes titres favoris de ces vraix-faux albums illégaux, une espèce de rhythm and blues rétro-futuriste mâtiné de gospel comme aurait pu en composer un Allen Toussaint.
It Ain’t Over ’Til The Fat Lady Sings
Ça ressemble à un morceau de transition, et à en croire le site de référence princevault.com, cet instrumental devait faire partie de la comédie musicale Dream Factory – encore un projet avorté . Et, donc, ce serait toi qui joue de tous les instruments, avec Eric Leeds au saxophone. Les arrangements ? Clare Fischer of course. C’est très court, deux minutes et une vingtaine de secondes, et c’est vraiment dommage, car It Ain’t Over ’Til The Fat Lady Sings est un instru jazz très “Madhouse”, très comme je les aime, avec une touche frankzappaïenne et un discret parfum reggae (dans “Joe’s Garage” de Zappa, chef-d’œuvre du Génial Moustachu, il y a plusieurs morceaux reggae, et j’ai toujours pensé que ce disque t’avais influencé). Spécial bonus : tu lâches les mêmes samples de chiens qui aboient que dans La, La, La, He, He, He, et ça, c’est très funky. Ouaf ouaf.
Eggplant (Original Prince Vocal)
Elle circulait chantée par Lisa celle-là, et voici donc la version “originale” vocalisée par tes soins. Aujourd’hui, on dirait que c’est une feel good song, avec son tempo sautillant, et sa mélodie chantante qu’on a l’impression de pouvoir jouer avec un seul doigt sur un piano-jouet. Mais à 2’27”, elle bascule dans une autre dimension, et devient passionnante : cette guitare rythmique, ces synthés non-conformes, ces arrangements de cuivres, ce solo virevoltant d’Eric Leeds, c’est du 100 % Urself™, du Grand Toi™ en pleine extase créative.
Everybody Want What They Don’t Got
Paul McNelson ou Roger Cartney ? Hello, E.L.O. ?
Blanche
« Aaaah aah aaahaha ah… » (Intro criée.) Alors-là… Blanche, c’est tout simplement la meilleure chanson des Rolling Stones depuis Start Me Up. Tu aurais dû la proposer à Sir Mick, et sûr que Keith l’aurait kiffée ! Ces riff-cocottes entremêlés qui chatouillent les tympans, ce clavier-basse qui serpente dans l’ombre, c’est trop fort, c’est trop bon… Cette batterie ultra-funky qui déplace tout dans l’enceinte gauche, c’est qui, c’est qui : c’est quiiiiiiii ? Le fantôme de John Bonham ? Morris Day ? Sheila E. ? Toi ? Monstrueux. Blanche, c’est une chanson, c’est une jam, une bombe, c’est chaotique et hyper tight, c’est carrément HOT. Blanche, pardon, Prince, u got me on FIRE ! PS : Embrasse Stanley pour moi.
Soul Psychodelicide
« Ice creeeeaaaam ! » (Répétez.) Plus de douze minutes de bastonnade p-funkisante, avec des morceaux d’It’s Gonna Be A Beautiful Night dedans. Tu ne fais pas dans la dentelle mon Prince, et ce mantra, « Soul, Psychodelicide », ici répété à l’envi par Lisa, aurait pu entrer dans ton petit arsenal lexical scénique. Mais il est vrai que tu étais déjà bien armé de ce côté. On se marre bien, mais c’est un peu long quand même…
The Ball
The Ball, comme tes fans le savent depuis des lustres, c’est la première version de Eye No, la régalade dansante qui ouvrait “Lovesexy”. Si on m’avait demandé mon avis, j’aurais dit : « The Ball ? Heu, gardez-la pour la “Super Deluxe” de “Lovesexy”, il y a déjà tellement de morceaux à digérer… » Mais voilà, à part toi, personne ne m’écoute.
Adonis And Bathsheba
Ne le prends pas mal mon Prince : j’adore cette ballade en tempo medium, savamment chaloupée, inspirée (j’imagine) par un tableau de Titien et vrillée par un solo de guitare crépitant qui fait feu de tout bois. Mais elle a si souvent été piratée avec la même qualité sonore que j’ai l’impression de la connaître depuis toujours. Tout ça pour dire que j’envie ceux qui vont la découvrir, car c’est une splendeur baroque, la petite sœur d’Adore.
Forever In My Life (Early Vocal Studio Run-Through)
Bon, là, c’est comme pour The Ballad Of Dorothy Parker : la VO est à ce point gravée corps et âme en nous qu’on a du mal à admettre qu’il puisse exister une autre incarnation, aussi émouvante, de cette merveille de ballade gospel-folk qui, sur scène, te permettait d’entrer en communion avec ton public, comme en témoigne la sublime version live in Utrecht du CD 8 de la “Super Deluxe”. Forever In My Life (Early Vocal Studio Run-Through) ressemble étrangement à une version “définitive”, et du coup celle de “Sign O’ The Times” à une maquette – une maquette non moins définitive… Est-ce parce que – on vient juste de l’apprendre – tu avais fait écouter cette version à Susannah Melvoin avant tout le monde, un beau matin, que tu as finalement mis la version “maquette” dans ton double opus original ? On ne le saura jamais… Voilà. Je me tais. Je t’écoute chanter. Et je pleure. Comme Susannah. Comme Jeanne Added et Sandra Nkaké, sans doute. Tout le monde pleure. Comme la dame aux cheveux blancs sur la pochette d’“Around The World In A Day”. [Au moment où Doc Sillon parlécrivait ces mots, Forever In My Life (Early Vocal Studio Run-Through) a été mise en ligne officiellement par le Prince Estate™, NDLR]
Crucial (Alternate Lyrics)
Dans la lignée d’Adore et d’Adonis And Bathsheba, encore une ballade voluptueuse constellée de la la la la la, chantée en mode falsetto pluriel – ahurissant arrangement vocal. Et effectivement, les paroles ne sont pas tout à fait celles qu’on connaissait. (Ben oui mon Prince, celle-là aussi on l’avait depuis… Ok je sors.) Les trois dernières minutes, purement instrumentales, sont flamboyantes d’invention.
The Cocoa Boys
Attention, chef-d’œuvre. Rien à dire de plus : les mots me manquent. Et puis bon, je peux souffler un peu, non ? Je t’avais promis que je ne passerai pas toutes les chansons en revue. J’en meurs d’envie pourtant avec The Cocoa Boys, tandis que tu parlechantes dans mon casque, que tu me racontes l’histoire de ce groupe imaginaire sur un beat hypnotique et un drone de synthétiseur hallucinogène, avec ces cuivres qui tu recycleras dans It’s Gonna Be A Beautiful Night et qui… STOOOP !!!
When The Dawn Of The Morning Comes
Sur un groove subtilement mécanisé qui préfigure celui de Trust [dans la BO de “Batman”, NDLR], tu nous emmènes à l’église dis-donc, et derrière ton orgue chipé à James Brown, tu fais monter la température. When The Dawn Of The Morning Comes chanté par Aretha Franklin, ç’aurait été un truc de fou – remarque, par toi c’est bien aussi hein…
Witness For The Prosecution (Version 2)
Curieusement, ton Urself Estate™ a déjà mis en ligne les deux versions de Witness For The Prosecution. Ce qui me permet de souffler encore un peu…
It Be’s Like That Sometimes
… surtout que celle-ci ne m’inspire pas plus que ça. Sympa ce petit solo de synthé à la fin, mais ça tourne un peu en rond cette affaire.
Emotional Pump
Encore une bonne face b. Que Joni Mitchell avait bien fait de refuser d’enregistrer. Ne t’en déplaise.
Rebirth Of The Flesh (With Original Outro)
Aaah, les affaires reprennent. Avec Witness For The Prosecution, je trouve que Rebirth Of The Flesh fait partie de tes chansons hendrixiennes. Elles étaient à la fin des années 1980 ce que Crosstown Traffic ou I Don’t Live Today étaient à la fin des années 1960. Une vision futuriste et totalement décomplexée du rock. Je suis sûr que Jimi les aurait adorées.
Cosmic Day
Chouette alors, encore une pause ! Rendez-vous sur Spotify, Deezer, Apple Music, whatever…
Walkin’ In Glory
Dis mon Prince, encore une chanson up tempo à forte teneur gospel ! Je trouve qu’elle est dans le même esprit que When The Dawn Of The Morning Comes, mais, ô surprise, elle est calée sur la musique de… 2nigs United 4 West Compton, l’instru démoniaque du “Black Album”, au titre plutôt profane que sacré… Néanmoins : alléluia.
Wally
Dire que tu avais demandé à ton ingénieure du son Susan Rogers d’effacer la première version de Wally, que, d’après elle, tu jugeais trop personnelle… Ce Wally “take 2”, que tes hardcore fanatics connaissent déjà, est à placer à mon humble avis dans la catégorie “chansons opératiques”, OU “mini-symphonies”, qui montent en spirale à coups de la la la la la, d’arrangements de cuivres tournoyants et de breaks de batterie inattendus (arrête-moi si je m’trompe, mais tout ce background me fait penser à ton génial instru Alexa de Paris). Quand je pense à la somme de travail que demande une telle chanson, et qu’à la fin tu as dû te dire : « Bon sang, je vais la mettre où celle-là ?! » Après trente-quatre ans de sommeil, Wally ressort donc du Vault. C’est drôle, parfois, le destin d’une chanson.
I Need A Man
Dans ton pays, on appellerait ça un filler, une chanson pour faire le nombre. Du remplissage quoi… Les experts de ta chose musicale noteront que cet arrangement de cuivre qui pique et qui claque, tu l’as recyclé pour tes interprétations live de Controversy, notamment celle du Madison Square Garden, le 3 août 1986, que j’adore – oui, je sais, encore un concert pirate, désolé.
Promise To Be True
Hmm, encore désolé mon Prince, mais celle-là aussi c’est un filler. Promise To Be True ne nous apprends rien qu’on ne sache déjà par cœur sur ta musique. Tu chantes magnifiquement bien dans la coda, mais ça ne suffit pas.
Jealous (Version 2)
Encore une chanson mineure, friandise funky-pop qui a cependant le mérite d’être entraînante, quoiqu’un peu répétitive. Une bonne face b – une de plus dira-t-on. On comprends pourquoi tu remisais dans ton Vault ce type de chanson : sans doute trop phoned in, “téléphonées”.
There’s Something I Like About Being Your Fool
Paroles amusantes sur un beat reggae, ce genre musical qui, décidément, t’attirait. Superbe solo de guitare.
Big Tall Wall (Version 2)
A comparer, bien sûr, avec la Version 1. Celle-ci est plus minimaliste, plus robotique (beat métronomique), façon man vs. machine, avec ces étourdissantes parties chantées multi-trackées, comme tu en as le secret (D’Angelo, sors de ce corps !). Reste qu’au-delà de l’aspect presque expérimental de Gros Grand Mur (qui préfigurerait presque certaines chansons de “Hit N Run Phase One” : c’est dire que tu avais de la suite dans les idées), quelque chose m’empêche de craquer totalement : frôlerais-je l’occlusion de la platine, la surdose musicale ? Peut-être. Et puis attention, je manque de recul, Big Tall Wall sera peut-être celle que j’écouterai le plus souvent dans quelques semaines, ou quelques mois, quand j’aurai fini par réaliser que vocalement, c’est assez inouï.
A Place In Heaven (Lisa Vocal)
La même que celle déjà évoquée plus haut, chantée par Lisa. Que dire d’autre ? Le côté petite valse est encore plus prononcé je trouve…
Wonderful Day (12” Mix)
Cette version 12” Mix est très réussie – Wendy et Lisa sont bien mises en valeur –, mais était-il nécessaire de l’inclure dans le coffret ? J’entends déjà tes fans : deux versions de Witness, deux versions de Big Tall Wall, deux versions de Wonderful Day, une 7” Mix inutile de Crystal Ball… Ça risque de chouiner un peu dans les chaumières…
Strange Relationship (1987 Shep Pettibone Club Mix)
… et comme en plus de ça cette si belle fête se termine sur ce remix un brin daté et superfétatoire de Shep Pettibone – on l’avait oublié lui tiens –, ils risquent de râler encore plus, tes fans insatiables. Tu les connais, ils se récitent déjà en boucle la liste des morceaux qui ne figurent pas parmi les quarante-cinq que l’on vient d’écouter ensemble… Pardon, que dis-tu ? « Not my problem »… Tu as raison. Anyway, je viens de passer près de quatre heures à écouter une somme hallucinante de musique avec toi mon Prince, et ça, je ne l’oublierai jamais. Les strictes règles sanitaires m’interdisent de te prendre dans mes bras pour te faire un hug, mais crois-moi, le cœur y est.
CD/DVD/LP Prince : “Sign O’ The Times Super Deluxe” (NPG Records / Warner Music, sortie le 25/9, tous les détails ici).
Photos : © Jeff Katz / The Prince Estate
Directeur de publication : Édouard RENCKER
Rédacteur en chef : Frédéric GOATY & Christophe GEUDIN
Direction artistique : François PLASSAT
Édité par Jazz & Cie, 15 rue Duphot, 75001 Paris
Tous droits réservés ©Jazz & Cie - 2015