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Classiq Rock

David Bowie 1974-1976, soul face au monde

Un an après le coffret “Five Years” qui couvrait la période 1969-1973, “Who Can I Be Now ?” s’attarde sur trois années durant lesquelles il fit de son mieux pour faire oublier Ziggy Stardust et se réinventer soulman.

bowie-photo-steve-schapiroÀ chaque fois que j’ose suggérer – du bout des lèvres pourtant, car je sais ce qui m’attend – que “Young Americans” est un des Bowie que j’ai le plus écouté dans ma vie, les réactions ne se font pas attendre. J’ai droit, c’est selon, à un « Ah bon ? » interrogateur teinté d’ironie ou à un « Non ?! Tu veux dire que tu préfères “Young Americans” à “Hunky Dory” et “The Rise And Fall Of Ziggy Stardust” ?! », sous-entendant qu’il manque quelques barreaux essentiels à mon échelle des valeurs bowiesque. Sans oublier le « Houla, c’est juste pas possible ça… » généralement lâché par un membre de la Police du Rock et le délicieusement pernicieux « Ah ouais ? C’est parce que y’a David Sanborn qui joue dessus… » – sous-entendu : le saxophone dans le jazz, passe encore, mais dans le rock, ça devrait être interdit (j’en connais qui…).

Bon, trève de plaisanterie, “Who Can I Be Now ?”, titre en forme d’antienne on ne peut plus bowiesque, est un coffret dont l’écoute m’a replongé dans l’une de mes périodes favorites de celui qui en à peine trois ans avait réussi l’exploit de renvoyer Ziggy Stardust dans les étoiles et d’imposer à sa place le Thin White Duke, dandy glacé pas moins fascinant que son prédécesseur cosmico-glam.
Du perturbé et globalement excitant “Diamond Dogs” (tout le connaît par cœur le stonien Rebel Rebel, mais pardonnez-moi de préférer le shaftien 1984, annonciateur de “Young Americans”) au fascinant et kaléïdoscopique “Station To Station”, qui balance avec élégance entre l’épique chanson-titre, la sensuelle Golden Years, la déluré TVC15, la funk-métissée Stay et la reprise de Wild Is The Wind (en hommage à son amie Nina Simone), “Who Can I Be Now ?” dessine les contours d’un Bowie certes en mutation constante, mais avant tout en quête d’un feeling nouveau, de profondeur de chant et d’une certaine authenticité musicale, même s’il est le premier à qualifier ses nouvelles créations de « plastic soul », conscient qu’un Anglais blanc comme neige (poudreuse) ne pourra sans doute jamais être un vrai soulman.

bowie-young-americansEt, donc, il y a “Young Americans”, mon fav’ à moi, huit chansons en forme de déclaration d’amour à la Great Black Music qui célèbre le corps et l’âme et ne fait pas danser idiot. Le casting laisse rêveur : outre David Sanborn, l’autre soulman blanc du disque, on se délecte des contributions du choriste Luther Vandross, future superstar de la soul dans les années 1980, du batteur Andy Newmark, qui venait de jouer sur “Fresh” de Sly & The Family Stone (difficile de présenter meilleur passeport-groove), du bassiste Willie Weeks (héros de studio adulé par tous ses confrères), le guitariste et nouveau venu Carlos Alomar (qui va rapidement devenir indispensable à Bowie) et un certain John Lennon dans Fame, le titre plus funky, que James Brown n’hésitera pas à piller sans vergogne, ce que Bowie prit, on imagine, comme un hommage. Ajoutez à cet aréopage le producteur Tony Visconti, de retour dans le giron bowiesque et, surtout, la performance vocale de haut niveau du Fin Duc Blanc, qui avait dû se passer en boucle l’intégrale des albums Hi Records d’Al Green avant de poser sa voix au studio Sigma Sound de Philadelphie et à l’Electric Lady de New York.

bowie-coffretOk, ok, “Diamond Dogs”, “Young Americans”, “David Live” et “Station To Station” ont déjà été réédités plusieurs fois depuis la fin des années 1980, mais les réécouter fort logiquement réunis dans ce coffret les replace dans une perspective nouvelle. Surtout que “Who Can I Be Now ?” est enrichi par le mix 2005 de “David Live” (pour fans uniquement…), le mix 2010 de “Station To Station” (idem), le double live “Nassau Coliseum 1976”, déjà “offert” avec les précédentes éditions Deluxe (épuisées) de “Station To Station”, la compilation de single edits “Re:Call 2” et, last but not least, “The Gouster”, l’album “perdu” et “pré-Young Americans” dont on connaissait certes déjà toutes les chansons (les quatre que Bowie gardera pour “Young…”, plus John, I’m Only Dancing Again, Who Can I Be Now ? et It’s Gonna Be Me, qui figuraient dans l’édition spéciale cd + dvd de 2007 de “Young…”), mais qui, ainsi recréé, s’avère passionnant et plus soul encore que “Young Americans”– est-ce parce que la reprise un rien forcée d’Across The Universe n’y figure pas ?
Sinon, le livret est très chouette aussi. Et pour en apprendre encore de belles sur cette période (et toutes les autres), on n’hésitera pas à se procurer le n° 4 du bookzine Muziq, “Les Cent Vies de David Bowie” : tout y est, et bien plus encore. •

Coffret “Who Can I Be Now ?” (Parlophone / Warner Music, disponible en version 12 CD, 13 LP ou digital)