Ce talentueux chanteur, auteur-compositeur et multi-instrumentiste revient avec son nouvel album “Television” le 24 juin (lire à la fin de cet entretien la chronique de Doc Sillon). Pour muziq.fr, il a bien voulu ouvrir sa malle aux trésors afin de nous révéler les 5 albums qui ont marqué sa vie. Geyster, un homme de goût, mais ça, on s’en doutait.
LES DISQUES DE GEYSTER
« Sentir du sable sous ses pieds »
Au micro : Julien Ferté
The Beatles
“The White Album”
Apple Records, 1968
Mon choix aurait pu se porter sur n’importe quel autre album des Beatles, ils sont au-dessus de tout le monde. Je ne suis pas croyant, mais les Beatles sont mes Dieux. En musique il y a les Beatles, et il y a le reste. J’ai choisi ici le “Blanc” car il caractérise le mieux une chose qui me parle particulièrement en musique, ce côté “en vrac”. Comme si chacun des quatre Beatles avait balancé au milieu d’un salon leur génie respectif à l’état pur, sans fioritures, comme ça, du genre « débrouillez vous avec ça ! ». Et l’on distingue particulièrement à travers cet album les personnalités de chacun, qui a écrit quoi, qui chante quoi, chose qui était plus floue dans leurs albums précédents. On dirait presque un album solo de chaque membre qu’ils auraient compilé pour en faire un album, avec quelques featurings des uns et des autres…
Herbie Hancock
“Head Hunters”
Columbia, 1973
Probablement l’album que j’ai le plus écouté, tous genres confondus. En particulier le morceau Chameleon, qui est pour moi une synthèse parfaite de la musique moderne, avec ses contrastes et ses reliefs. En fait, ce morceau me fait penser au décollage d’une fusée jusqu’à sa mise en orbite dans l’espace. Le thème répété de manière entêtante et évolutive des premières minutes, avec ce son de synthé agressif (passage dans l’atmosphère), puis toute la deuxième partie du morceau où le Fender Rhodes et les violons viennent enrober de manière cotonneuse et envoûtante cette rythmique funky. On est alors propulsé dans l’espace, en apesanteur. Les cinq premières notes de l’entrée du solo de Rhodes sont à compter parmi les quelques plus belles notes que j’ai entendu de toute ma vie…
Paul & Linda McCartney
“Ram”
Apple Records, 1971
Là encore, tout comme sur le “White Album” des Beatles, on retrouve ce côté “en vrac” et brut qui m’est cher en musique, toujours avec cette maîtrise totale du songwriting et de la production. Chaque chanson de cet album est une œuvre d’art minutieuse, où chaque seconde de musique a sa place et son intensité propre. Tout le génie de McCartney est selon moi d’une totale évidence dans cet album. On y distingue toutes ses facettes, à la fois son côté romantique et nostalgique, ainsi que son côté enragé, révolté, énervé… On dit souvent que Lennon était le rebelle des Beatles et McCartney le garçon gentil et propre sur lui. Pour moi c’est tout l’inverse, j’ai toujours trouvé McCartney beaucoup plus subversif et complexe que Lennon qui m’a toujours paru finalement beaucoup plus prévisible et conventionnel, ce qui n’enlève rien à son génie évidemment. Bref, ceux qui n’aiment pas cet album n’ont rien compris au génie de McCartney !
Steely Dan
“Katy Lied”
ABC, 1975
Alors Steely Dan, c’est un peu particulier. J’avais écouté quelques titres d’eux auparavant en piochant des disques dans la discothèque de mon père, mais je n’aimais pas, je trouvais ça trop cérébral, ça manquait d’âme, et la voix de Fagen me gênait beaucoup aussi. Puis, un jour d’été en vacances à New York avec mon père, je devais avoir 16 ou 17 ans, j’ai vue une cassette pirate des chutes de studio de “Katy Lied” justement, qui gisait sur la table d’un revendeur de rue, et je me suis dit « Tiens j’ai envie de leur redonner une chance à ce petit groupe » [Rires]. Ca n’a pas loupé, alors qu’on déambulait au hasard dans les rues de la ville, j’ai enfilé mon casque de Walkman sur les oreilles, et là, sous la chaleur écrasante et la pollution de la ville, j’ai compris toute la puissance de leur musique qui aura alors une influence majeure sur ma propre musique. Comme quoi, parfois, pour saisir le génie d’un artiste il suffit de l’écouter (ou de le voir) dans un contexte ou un environnement particulier afin de le saisir, le comprendre, et donc l’apprécier. Et là encore j’aurais pu piocher n’importe quel album du groupe. Mais j’ai choisi cet album car il représente pour moi le parfait équilibre entre le rock un peu crade de leur début et le côté plus cérébral et jazz (voire même un peu plus clinique) de leurs albums suivants. Car encore une fois, en musique j’aime qu’on sente un peu la crasse, j’aime la moiteur, sentir du sable sous ses pieds, que ça pique un peu, que ce soit rugueux…
Gil Scott Heron / Brian Jackson
“Winter In America”
Strata-East, 1974
J’aime tous les albums de Gil, à part son dernier, “I’m New Here”, enregistré juste avant sa mort, qui est pour moi totalement hors sujet si l’on prend son œuvre dans son intégralité. Le hip-hop y prend largement le dessus, la production et même l’écriture sont presque “clichesques”. Alors que ce qui me plaisait dans sa musique auparavant, c’est qu’à aucun moment on ne pouvait lui coller une étiquette de style, il est bien au-dessus de tous genres musicaux, un peu comme les Beatles, Steely Dan, ou encore Joni Mitchell (que j’aurais pu citer également dans mes cinq albums préférés mais il m’était trop difficile de trancher avec les autres…). Bref, j’ai découvert sa musique à travers le morceau Winter In America, qui n’est curieusement pas sur cet album. Et c’est d’ailleurs en pensant qu’il y était que j’avais acheté le CD. Au-delà de l’aspect social et engagé, cet album est d’une poésie rare en musique. Mais sans le côté littéraire, rébarbatif, chiant ou niais que peut évoquer parfois la poésie mise en musique. Là on sent que c’est avant tout la musique qui drive tout le reste. Chaque chanson est du songwriting de très haute volée. Sans oublier la voix si spécifique de Gil, ainsi que le jeu de piano et de flûte de Brian Jackson, qui, on l’oublie très souvent lorsque Gil Scott-Heron est évoqué, a contribué énormément au génie des albums de Gil. Gil Scott-Heron ne se serait pas autant démarqué sans Brian Jackson (et vice versa). Pour moi, Gil Scott-Heron c’est un duo. Et là encore, j’aime ce côté fait “à l’arrache”, il y a des fausses notes, des pains dans le groove à certains endroits, les musiciens sont un peu à l’ouest, c’est pas très bien enregistré, le son est mauvais, ça souffle… Mais voilà, tous ces petits défauts viennent donner encore plus de vie et d’âme à cette poignée de chansons toutes plus belles les unes que les autres.
LE DISQUE DE GEYSTER
« Ne zappez pas Television ! »
Par Doc Sillon
Avec son onzième album, Geyster confirme si besoin était tout le bien qu’on pense de lui depuis déjà un bon moment – votre Doc doit vous avouer que son “Radio Geyster 1977” n’a jamais quitté son iPod depuis sa parution (en 2011). Car “Television” reflète avec toujours autant de classe la richesse et la variété de ses inspirations, pour la plupart ancrées dans les glorieuses Seventies.
Et si l’impression est toujours tenace – joyeuse hallucination ? Pas si sûr… – de voir Paul Mc Cartney ou, c’est selon, Donald Fagen sortir de ce corps de multi-instrumentiste aux doigts de fée (chant, claviers, guitare, basse, batterie…), Geyster fait mieux que jamais du Geyster. C’est à dire une pop music mélodique aux harmonie sophistiquées qui se paye le luxe d’enchaîner couplets inspirés et refrains accrocheurs comme si cela allait encore de soi en 2019. Et tenez-vous bien : il y a même des improvisations – « des quoi ?! » – de Fender Rhodes gouleyantes à souhait et des solos de guitare subtils et économes dignes des pointures de studios de L.A. Sachez que But I’m Better Without You Babe, Television, Everytime I’m In Love, Sorry Again et le psyché-jazzyssime Mixed Again tournent d’ores et déjà en rotation lourde dans ma tête. Avec “Television”, Geyster cultive avec toujours autant d’élégance son statut d’artiste culte.
CD Geyster : “Television” (Somekind Records, sortie le 24/6).
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