« Jeff is my all-time favourite electric guitarist » : c’est par ces mots que débute la préface de Beck 01, le splendide livre que Genesis Publications vient d’éditer. Elle est signée John McLaughlin, qui s’y connait un peu en guitare électrique… M’est avis que hier soir, en sortant de la Salle Pleyel, nombreux furent ceux qui partagèrent son avis.
Première surprise, sans doute bonne pour ceux qui n’ont pas accroché à son nouvel album, “Loud Hailer” : la chanteuse Rosie Bones et la guitariste Carmen Vandenberg ne sont pas là. C’est donc en trio, avec Rhonda Smith à la basse électrique et Jonathan Joseph à la batterie qu’“El Becko” commence à distiller l’un de ses standards, Freeway Jam (“Blow By Blow”, 1975). Mon voisin de gauche tombe instantanément amoureux de Rhonda Smith : « Quel son ! Elle est fantastique ! » C’est la première fois qu’il voit le guitar hero sur scène me confie-t-il, et il ne s’attendait pas à un tel déluge électrique, qui plus est mâtiné de groove aussi puissant que sensuel. On acquiesce : Maître Jeff, plus cool et décontracté que jamais, donne comme de coutume l’impression d’être un peu là par hasard, et de ne surtout pas vouloir déranger les voisins – ses amplis vont jusqu’à 11, mais ce soir, promis, il s’arrêtera à 10. (Au passage, il faut le dire car c’est hélas trop rare : super son.)
Très vite, son vieux compère le chanteur Jimmy Hall – aah, Ambitious dans “Flash”, 1985, production Nile Rodgers, toute une époque… – se joint au (super) power trio du soir pour interpréter Morning Dew, classique sixties de Tim Rose que Jeff B. a jadis gravé avec Rod Stewart (“Truth”, 1968, toute une époque aussi, mais rien à voir avec celle de “Flash”).
Dès lors, notre magicien débonnaire à la Stat’ immaculée alterne ses favorite songs. En version chantée, où il se révèle souvent être le vocaliste le plus habité : ses contrechants électrisants poussent Jimmy Hall dans les cordes (mais fort heureusement pour lui, il a du métier). Ainsi défilent A Change Is Gonna Come de Sam Cooke, People Get Ready de Curtis Mayfield, Little Wing de-qui-vous-savez, Superstition de-qui-vous-savez-aussi…
En version instrumentale, sa six-cordes enchantée et “en chanteuse” fait merveille dans A Day In The Life de-qui-vous-savez-encore (toujours aussi renversante sa relecture STRATosphérique). « Quel timing ! Chaque accord sonne comme un génial coup de rasoir ! » Mon voisin de gauche se met fébrilement à filmer avec son portable. « C’est pour mon fils, il est bassiste dans un groupe. Il adore Snarky Puppy : vous connaissez ce groupe ? »
À ce précieux butin en forme de carnet intime de ses amours musicales cinquantenaires, Superjeff sort de sa poche quelques instrus cultissimes qui nous font frissonner de bonheur : You Know You Know du Mahavishnu Orchestra, phénoménal, qu’il hyper-électrise comme personne, Stratus de Billy Cobham, funky-magique (et l’on pense à Tommy Bolin et à Prince et l’on est triste, ah c’est malin !), l’aplatissant/mammouthesque Big Block (“Guitar Shop”, 1989), mais aussi le toujours félin-fantastique Led Boots (“Wired”, 1976) qu’il joue avec un tel détachement et une telle (apparente) facilité qu’il donne l’impression que c’est une friandise R&B – il faut dire, avec une section rythmique pareille…
Non, pas de Where Were You, pas de Goodbye Pork Pie Hat ni de Brushes With The Blues ce soir. La prochaine fois sans doute.
Car il y aura une prochaine fois, hein Monsieur Beck ? Pas de blague, on a besoin de galopins de 72 ans comme vous, du genre jamais rassasié de musique, du genre qui nous fait rêver.
On a besoin de goûter régulièrement votre son unique, d’être émerveillé par votre extraordinaire et inégalable expressivité.
Tiens, si mon avis comptait autant que celui de John McLaughlin, moi aussi j’écrirais que vous êtes « mon guitariste électrique préféré de tous les temps ».
Oups, ça y est, c’est écrit.
A très vite Monsieur Beck, et encore bravo.
Paris, Salle Pleyel, lundi 24 octobre. Jeff Beck (guitare électrique), Jimmy Hall (chant), Rhonda Smith (basse électrique, chant), Jonathan Jospeh (batterie).
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