Here If You Listen, le nouvel album de David Crosby, prolonge avec superbe une série gagnante entamée il y a quatre ans. Le Croz décrit sa renaissance au micro de Muziq.
Muziq : Le mois dernier, vous avez donné un superbe concert électrique à Paris. Here If You Listen, votre nouvel album, est plutôt tourné vers l’acoustique.
David Crosby : Yes man. J’ai la chance de jouer avec deux superbes groupes en même temps : le Skytrails Band est mon groupe de scène électrique avec le guitariste Jeff Pevar. Le Lighthouse Band, celui de ce nouvel album, est entièrement acoustique avec Michael League, Becca Stevens et Michelle Willis… Depuis quelques années, j’essaie de faire un maximum de choses et de travailler dans diverses configurations. Je ne sais pas s’il y a un plan derrière tout ça, mais c’est le meilleur moyen que j’ai trouvé pour me pousser à écrire davantage.
Here If You Listen a été enregistré avec un trio composé de Michael League (Snarky Puppy), Becca Stevens et Michelle Willis. Comment s’est effectuée cette connexion ?
J’ai découvert Snarky Puppy, le groupe de Michael, sur YouTube. Un ami m’avait conseillé d’écouter ses productions et j’ai beaucoup aimé son songwriting et ses idées d’arrangeur. J’ai posté quelques tweets à son sujet et il a fini par m’appeler. Peu de temps après, Michael m’a invité à participer à un album caritatif —Family Dinner – Volume II (2016), ndr.— et c’est lors de cet enregistrement que j’ai rencontré Becca Stevens et Michelle Willis. J’ai tout de suite senti qu’il y avait une alchimie très forte entre nous, ce qui nous conduit à enregistrer Lighthouse il y a deux ans. Cet album était un disque de David Crosby produit par Michael League sur lequel Becca et Michelle chantaient un peu. Michael a produit Here If You Listen, mais cette fois, j’ai insisté pour que soit un véritable album de groupe. Michael, Becca et Michelle m’ont demandé plusieurs fois si c’était vraiment une bonne idée car ils n’en étaient pas très sûrs. De mon côté, j’en étais persuadé et nous avons fini par écrire, interpréter et enregistrer la totalité de cet album à quatre.
Comment décririez-vous l’alchimie qui vous réunit tous les quatre ?
Qu’elle soit positive ou négative, il règne toujours une certaine alchimie dans n’importe quel groupe humain. Pour les musiciens, c’est un peu particulier car cette alchimie évolue sur plusieurs niveaux et elle doit cruciale, essentielle pour que la musique fonctionne. J’ai un peu de mal à décrire celle qui nous réunit tous les quatre, mais elle est bien présente.
En termes d’ambiances et de couleurs, Here If You Listen rappelle parfois If I Could Only Remember My Name, votre premier album solo paru en 1970.
Je suis très heureux que vous fassiez ce lien. Et il n’y a pas de batterie non plus dans Here if You Listen (rires) !
Here if You Listen comporte aussi quelques clins d’œil au passé…
Oui, j’ai intitulé deux titres de l’album « 1967 » et « 1974 » car ils sont basés sur de vieilles maquettes qui datent précisément de ces années. Je trouvais leurs progression d’accords et leurs mélodies très intéressantes. Je les ai faites écouter à Michael, Becca et Michelle et Michael a eu l’idée de les transformer en machine à remonter le temps. De mon côté, j’ai relié l’instrumental de « 1974 » a un texte inspiré par la récente tuerie de Parklands, en Floride. C’est devenu une protest-song et un moyen de dire qu’après tout, rien n’avait vraiment chanté aux États-Unis depuis.
Vous reprenez aussi le « Woodstock » de Joni Mitchell. Pourquoi avoir choisi cette chanson ?
Un jour, nous l’avons chantée en studio juste pour le fun. Un peu plus tard, nous l’avons chantée sur scène et lorsque nous sommes arrivés au refrain, nous avons harmonisé nos quatre voix et le public est devenu dingue. On s’est dit : « hmm, il y a peut-être un truc à faire… ». Nous avons donc décidé de l’enregistrer pour Here If You Listen et j’en ai profité pour écrire une nouvelle suite d’accords. La version de Joni Mitchell était magnifique, celle de CSNY arrangée par Stephen Stills était très rock’n’roll et nous en avions fait un énorme hit à l’époque…
Avez-vous croisé Joni Mitchell récemment ?
J’ai dîné avec Joni il n’y a pas longtemps. C’est une femme très courageuse et elle continue à se battre…
On vous parle du Festival Woodstock depuis bientôt cinquante ans. En revanche, peu de gens savent que vous aviez participé à celui d’Altamont, quelques mois plus tard.
C’était horrible… Je me souviens que nous avions atterri avec Neil Young, Stephen Stills et Graham Nash sur un petit aéroport à proximité d’Altamont et personne n’était venu nous accueillir. Un roadie avait été obligé de piquer une camionnette pour qu’on puisse se rendre à Altamont. Je crois que nous avions joué avant les Rolling Stones, amis nous avions vite déguerpis car les vines étaient très mauvaises… Le grande erreur d’Altamont, c’était d’avoir proclamé : « On va vous donner un deuxième Woodstock ! ». Les choses ne marchent pas comme ça. Woodstock avait amené quelque chose de totalement neuf dans les esprits et cette sensation était impossible à reproduire. Le management du Grateful Dead, les organisateurs d’Altamont, avait eu l’idée stupide d’engager des Hell’s Angels pour assurer la sécurité. Ces types ne savaient pas comment protéger le public, ils savaient juste comment le tabasser. Les mauvais gars avaient été engagés pour faire le mauvais job et tout est parti en vrille.
Vous venez de publier quatre albums en quatre ans. C’est une première dans votre carrière. Est-on en train d’assister à la renaissance de David Crosby ?
Oui, c’est le sentiment que j’éprouve en ce moment. Quitter Crosby, Stills & Nash a été très difficile. C’était comme si je m’étais jeté d’un précipice, la décision a été très difficile mais je n’avais pas le choix. Nous ne nous apprécions plus d’un point de vue humain, nous ne amusions plus sur scène et la musique s’en ressentait. Je n’avais plus envie de tout ça mais heureusement, j’ai eu l’immense chance de rencontrer des musiciens formidables depuis : mon fils James Raymond, Michael League, Becca Stevens, Michelle Willis… Chaque jour, ils m’encouragent à donner le meilleur de moi-même et je travaille très dur pour rester à leur niveau.
Nous nous étions rencontrés il y a une quinzaine d’années. À l’époque, vous vous décriviez comme un survivant.
Je pense avoir dépassé ce stade. Aujourd’hui, j’ai 77 ans. Je suis le nouveau David Crosby, et un David Crosby très heureux.
David Crosby Here If You Listen (BMG). Disponible.
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