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Hommage

Quand Walter Becker conversait avec Fred Pallem

À l’été 2009, pour Jazz Magazine, Fred Pallem, en compagnie de Frédéric Goaty, avait rencontré Walter Becker, la moitié créative d’un de ses groupes favoris, Steely Dan. En hommage à ce grand guitariste, compositeur, auteur et producteur qui vient de nous quitter en ce 3 septembre, muziq.fr publie à nouveau cet article.

Paris, Olympia, 2 juillet 2009 : Fred Pallem et Walter Becker photographiés par Joachim Bertrand

Paris, Olympia, 2 juillet 2009 : Fred Pallem et Walter Becker photographiés par Joachim Bertrand

Walter Becker par Fred Pallem
Steely Dan ? C’est qui ? Beaucoup croient que c’est un mec qui fait du jazz-rock californien. J’ai même des amis qui sont étonnés de voir que je suis un fan absolu du cocktail jazz, rhythm’n’blues, rock, et country aussi (à leurs débuts) que nous sert ce duo composé de Donald Fagen et Walter Becker depuis quarante ans. Ils ont créé un style unique ! Mais au-delà de leurs chansons aux harmonies complexes, ce sont les textes qui m’ont fait comprendre leur démarche. Histoires de dope (Time Out Of Mind), de cul (Babylon Sisters), meurtres (Razor Boy), pervers (Peg), le tout sur des grooves léchés et sexy : parfait pour écouter en décapotable ! Vraiment, ces mecs sont des weirdos, des zarbi. Ils sont intéressés par le son des mots plus que par le sens. Parfois, certaines paroles sont dures à décrypter, truffées de doubles sens et de messages cachés. On ne trouvera jamais de chansons d’amour ou politiques au premier degré.
Leur dernier concert parisien, celui du Grand Rex 2007, m’avait un poil déçu : son moyen, Fagen en petite forme… Du coup, je n’avais même pas pris de place pour le concert du 2 juillet à l’Olympia. Mais quelques jours avant le concert, un certain Fred Goaty m’appelle pour me proposer d’interviewer Walter Becker ! En fan de base, je m’exécute et annule mon rendez-vous chez le dentiste.

2 juillet, 20h15. On arrive backstage. Fagen vouté et Becker droit comme un i sortent du catering. Walter nous accueille à bras ouverts dans sa loge glaciale (clim’ à donf’) et nous propose un drink et des gâteaux. l’interview commence, Goaty dégaine à vitesse grand V mais je réussi à contrer quelques salves pour questionner le Maître sur ses basses et ses guitares perdues… Notre homme est hyper décontracté, mais nous sommes perturbés par Fagen, qui chante comme un fou et martèle son piano dans la loge d’à côté. Autographe signé et poignée de mains immortalisée, concert dans dix minutes !
On se place au quatrième rang, et dès le premier morceau, Reelin’ In The Years réarrangé, je sens que le show va être bon. Rien à voir avec le Grand Rex 2007. L’Olympia est surblindée ! Fagen en forme, toujours aussi flegmatique, ressemble vraiment à un Muppet gesticulant derrière son Fender Rhodes. Becker, lui, enchaîne les solos bluesy et, sur Hey Nineteen, tchatche tel un MC, proche du slam. Incroyable ! Ils ne feront que des titres anciens : Glamour Profession, Babylon Sisters, Peg, Deacon Blues, Parker’s Band, Aja… Merci pour ce “Left Bank Holiday Tour” ! En ce moment, leur tournée “Rent Party” est en plein boum aux Etats-Unis. Voilà qui devrait leur permettre de payer leur loyer pendant deux ans – jusqu’au prochain album ? • Fred Pallem [NDLR : Hélas, cher Fred, on sait maintenant qu’il n’y aura plus jamais d’album de Steely Dan…]

L’interview express, par Fred Pallem & Fred Goaty
Post-scriptum : les pop stars qui ont une passion sincère pour le jazz sont plus accessibles que les autres. Ainsi, Walter Becker nous offrit donc quelques minutes d’entretien avant son concert – il aurait bien aimé converser plus longuement avec nous, mais le jetlag l’avait poussé à faire une faire une sieste réparatrice en fin d’après-midi. La conversation tourna d’abord autour de son nouveau CD, “Circus Money”, produit par Larry Klein. On y retrouve plusieurs membres de Steely Dan : le batteur Keith Carlock ou le guitariste Jon Herington. Les ambiances sont jazzy et surtout très reggae/dub : « près la tournée “Everything Must Go” [le dernier album de Steely Dan, NDLR], j’ai écouté beaucoup de musique jamaïcaine, Bob Marley, Peter Tosh, Sly & Robbie, du dub… J’étais déjà infleuncé par ce style de musique dans les années 1970, mais je ne connaissais que les grands noms… Haitian Divorce ? [Morceau culte de Steely Dans, “The Royal Scam”, 1976, NDLR] Oui, c’est un peu reggae-pop. Mais sur “Circus Money” le concept est plus ambitieux. J’aime ce genre d’espace, y ajouter des harmonies différentes. »

On lui montre le disque en coleader des saxophonistes Warne Marsh et Pete Christlieb qu’il avait produit avec Donald Fagen en 1977, “Apogee”. S’en souvient-il ? « Bien sûr ! Le contrebassiste, Jim Hugart, avait installé un studio dan son garage. Il avait des bandes de Warne et de Pete, avec juste une section rythmique, sans piano. Pete était très respecté à Los Angeles, il était dans l’orchestre du Tonight Show, et son père Don a joué du basson avec Frank Zappa et Igor Stravinsky. Donald et moi aions engagé Pete pour les séances de notre album “Aja”. Et quand nous avons écouté les bandes de Jim Hugart, nous lui avons proposé à Pete de le produire. Comme « Aja” s’était énormément vendu, nous avions un peu de pouvoir, et nous sommes donc allés voir les gens de Warner Bros. et le disque avec Pete et Warne Marsh s’est fait. Je continue de produire aujourd’hui : écoutez donc le nouveau CD du saxophoniste baryton de notre groupe, Roger Rosenberg, “Baritonality” (Sunnyside Records) » Mais voilà que le tour manager entre subitement dans la loge : « Fifteen minutes to show time ! » Il est l’heure Walter… • Frédéric Goaty